Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Iris, nous nous retrouvons aujourd’hui pour parler d’une région au cœur de toutes les convoitises et hautement stratégique : l’Arctique. Alors on connaît l’incidence de la fonte des glaces, qui dégage de nouvelles voies maritimes de transport et de nouveaux accès aux hydrocarbures ; mais qu’est-ce qui intéresse le secteur spatial dans la zone Arctique ?
Plus que les ressources qui s’y trouvent, c’est vraiment son emplacement au pôle Nord ! De la même manière que nos données ne sont jamais vraiment dématérialisées, les communications qui passent par des satellites passent aussi par des antennes terrestres. Et les satellites orbitent autour de la Terre, ils sont placés à une certaine altitude, et sur une certaine trajectoire, qui va leur permettre de survoler des points précis de la planète. Ce qui est crucial avec la zone arctique, c’est que les satellites critiques, ceux qui permettent des communications institutionnelles sensibles, ceux qui observent la Terre pour le renseignement et la météorologie, passent au dessus de l’Arctique et ont besoin d’une base physique en-dessous d’eux à chaque passage, pour qu’on traque leur trajectoire et qu’on reçoive leurs signaux.
Maintenant que vous le dites, les communications ne seraient effectivement pas si sécurisées si les satellites transmettaient largement leurs ondes vers toute la planète plutôt que des points précis.
Exactement ! Et la zone arctique, elle se situe sur la trajectoire des satellites en orbite polaire, en orbite synchrone avec le soleil –ce qui veut dire que le satellite a la même progression que le soleil, ce qui permet d’avoir la même illumination sur ses images. Donc cette zone arctique est essentielle pour le secteur spatial et ses applications civiles et militaires, mais sa souveraineté est répartie entre huit pays seulement. Et si on prend le cas des Etats-Unis, qui est membre du Conseil de l’Arctique grâce à l’Alaska, c’est un pays qui a quand même besoin de partenariats stratégiques avec d’autres pays arctiques qui ont plus de surfaces où placer des bases pour recevoir des communications spatiales, et accessoirement d’où détecter des missiles hostiles, comme c’est le cas de la base américaine de Pituffik au Groenland.
Ah, le fameux Groenland qui intéresse tant l’administration Trump !
Qui intéresse l’armée américaine au moins autant que Trump, d’ailleurs ! Mais ils sont plus subtils et discrets que Donald Trump à ce sujet.
Mais pourquoi la zone arctique plutôt que la zone antarctique ? Le pôle sud doit aussi être sur les orbites polaires, non ?
Absolument, mais la concentration du monde industrialisé est dans l’hémisphère nord. La quasi-totalité des cibles industrielles potentielles à bombarder sont à moins de dix heures de la zone arctique, ou de n’importe où en orbite terrestre. Parce que la Terre est ronde, ça même Trump ne dira pas le contraire, et donc depuis l’arctique, on est plus proche de partout dans l’hémisphère nord.
Donc l’intérêt de la zone arctique est multisectoriel : les ressources hydrocarbures, les zones navigables, les points de communication avec des satellites stratégiques, et une couverture de cibles militaires optimisées. Autre chose à ajouter à cette longue liste ?
Oui, encore autre chose : sa proximité avec l’orbite terrestre. Outre l’équateur, c’est depuis les pôles de la Terre qu’il est le plus facile d’envoyer des fusées en orbite. Et bien sûr, c’est d’autant plus idéal pour placer des charges utiles comme des satellites d’observation en orbite polaire. La boucle est bouclée !
Avec tous ces exemples, on voit à quel point la zone arctique est unique dans la multiplicité des intérêts qu’elle représente. Et l’Europe est bien lotie en ce moment, avec le Groenland danois, les pays scandinaves Norvège-Suède-Finlande, plus l’Ecosse qui permet aussi des lancements sur ces trajectoires –c’est pour ça que l’ESA y investit dans de nouvelles plateformes de lancement et que le Royaume-Uni investit largement dans le secteur spatial. Et c’est sans compter le Canada, que Trump se met assidûment à dos ces derniers temps, ce qui pousse à une coopération renforcée au profit de l’Europe. Donc d’un point de vue d’exploitation stratégique de la géolocalisation de la zone arctique, les Européens ont vraiment cartes en main.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.