La guerre des étoiles

Le Projet Rosetta-Philae

© ESA/ATG medialab; Comet image: ESA/Rosetta/Navcam Le Projet Rosetta-Philae
© ESA/ATG medialab; Comet image: ESA/Rosetta/Navcam

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Nous tournons notre regard loin de la Terre cette semaine, pour nous intéresser à un exploit européen : envoyer une sonde explorer une comète à la croisée de l’orbite terrestre et de l’orbite de Jupiter.

Une sonde lointaine dont l’idée est née dans un passé pas aussi lointain, mais presque ! Dans les années 80, l’ESA était en grande difficulté financière, on l’avait évoqué avec l’abandon de la navette Hermès. Pour remédier à ces soucis budgétaires, l’agence a décidé de faire un appel à projet pour l’horizon du nouveau millénaire, un projet littéralement appelé ‘Horizon 2000’. Et l’un des projets retenus était celui du retour d’échantillons d’une comète du système solaire.

Un projet ambitieux planifié des décennies à l’avance, l’ESA avait-elle des certitudes sur la faisabilité d’un tel projet ?

Non, aucune. D’ailleurs, le projet a été tout de suite mis de côté parce que le budget était trop important par rapport à ce que les Etats-membres étaient prêts à y consacrer. Rosetta-Philae a pu obtenir son nom et ses financements plus tard en 1987, quand l’ESA a proposé à la NASA de s’allier sur ce projet scientifique d’exploration spatiale. La NASA venait de faire approuver un projet identique par le Congrès américain, et les agences ont mis leurs financements et savoirs-faire en commun.

Rosetta-Philae n’est donc pas purement un projet européen, alors ?

Si, dans la mesure où quelques années plus tard, en 1992, la NASA s’est retirée du projet, faute de budget. L’agence américaine aura en tout et pour tout contribué à trois instruments de mesure scientifiques sur les vingt embarqués. Et les catastrophes ont ponctué le développement de Rosetta-Philae jusqu’à l’aboutissement du projet : en décembre 2002 le lancement a dû être reporté faute d’un lanceur opérationnel Ariane 5 pour la fenêtre de tir qui était prévue, et la cible de la mission a changé. Les astronomes de l’ESA ont relégué Wirtanen pour se tourner sur Churyumov–Gerasimenko, une comète nommée d’après les deux astronomes soviétiques qui l’avaient observée en premier.

J’ai une impression de déjà-vu, sans avoir entendu parler de Rosetta-Philae…

Rosetta-Philae c’est un projet qui illustre beaucoup des problèmes actuels du secteur spatial en Europe : le retrait de l’allié américain d’un projet qui laisse l’Europe seule sur sa barque, l’absence d’un lanceur opérationnel pour envoyer ses instruments en orbite, des budgets toujours plus serrés pour des missions scientifiques…

Les parallèles sont effectivement vraiment faciles à tirer. Le nouvel administrateur de la NASA, Jared Isaacman, est un proche de Musk, ils sont tous les deux peu enthousiastes à l’idée de poursuivre la mission Artémis pour ramener des Occidentaux sur la Lune, alors que l’ESA est un partenaire de la mission et développe Orion, le module de service habité de la Gateway, qui n’en est pour l’instant qu’à un stade de projet. L’ESA a déjà engagé des budgets, des ressources humaines, et compte sur Artemis et la NASA pour envoyer trois missions habitées européennes en retour de cette participation. Scientifiquement et diplomatiquement, un revirement, qui n’est vraiment pas à exclure, serait une catastrophe, surtout que contrairement à Rosetta, l’ESA ne peut pas développer Artémis seule.

Les retards d’Ariane 6 aussi rappellent la panique suite à l’échec du vol de test d’Ariane 5, même s’il faut aussi rappeler qu’Ariane 5 a effectué en 2004 le lancement le plus précis et le plus efficace en termes d’économie de carburant de l’histoire avec un grand H. C’est une réussite inégalée d’un lanceur spatial, ç’a fait d’Ariane 5 une fusée emblématique vénérée de tous les passionnés, et ç’a permis à Ariane Espace de catégoriquement s’imposer comme LE fabricant de lanceurs européens fiable.

Est-ce que l’histoire de Rosetta-Philae se finit sur cette belle note d’Ariane 5 ?

Non, parce que les péripéties du développement, c’est la partie facile, rapide et l’incipit des projets spatiaux ! En réalité, c’est le voyage à des centaines d’unités astronomiques de nous qui prend autant de temps que la fabrication des sondes, des lanceurs, des phases de test. Une unité astronomique, c’est la distance entre la Terre et le Soleil, 150 millions de kilomètres. Rosetta est allée utiliser l’orbite de Mars, à deux unités astronomiques de la Terre, pour gagner de la vitesse et atteindre à nouveau la Terre, pour prendre encore plus de vitesse, etc etc d’un astre à l’autre, pendant dix ans, pour utiliser la gravité plutôt que du carburant et finalement atteindre la comète visée. Dix ans et plus de 52 unités astronomiques parcourues, c’est ça l’exploit lointain de Rosetta.

C’est aussi ces distances immenses et ces temps extrêmement longs qui freinent le financement et le développement de projets scientifiques. Quand la Russie envahit notre voisin et qu’on est presque sans défenses, l’idée d’envoyer une sonde au fin fond du système solaire, ça n’est pas une priorité pour les décideurs, ni les électeurs, parce que tout le monde s’inquiète du pouvoir d’achat, de la sécurité, du système de santé… et qu’on ne se rend pas compte que les recherches faites pour l’exploration spatiale ont des applications dans notre vie civile de tous les jours qui peuvent améliorer notre qualité de vie, comme la fibre optique, ou les appareils d’imagerie médicale.

Le mot de la fin, est-ce que Rosetta a pu mener sa mission à bien ?

La mission du projet de départ, non. Quand la NASA a abandonné le projet, l’ESA a abandonné l’idée de ramener des échantillons. Mais Rosetta a bien largué Philae à la surface de la comète Tchouri fin 2014, Philae a bien pu analyser des échantillons sur place et en transmettre les résultats à l’ESA par le biais de Rosetta, et on a pu faire une avancée majeure dans notre compréhension de l’apparition de la vie sur Terre. C’est une épopée européenne, un succès scientifique, et la preuve que l’Europe a les capacités de mener à bien des projets historiques sans les Américains.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.