La guerre des étoiles

La constellation IRIS²

Photo de SpaceX - Pexels La constellation IRIS²
Photo de SpaceX - Pexels

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Bonjour Iris Herbelot, on vous retrouve cette semaine pour parler de l’enjeu le plus visible et rentable du secteur spatial : les communications. Il semblerait que l’Europe institutionnelle s’y mette aussi ?

L’Union européenne avait en effet établi en mars 2023 une régulation établissant un programme européen pour une connectivité sécurisée, pour la période 2023-2027. Ce programme inclut une constellation de près de 300 satellites européens fabriqués par le secteur privé, c’est la constellation IRIS², infrastructure pour la résilience, l’interconnectivité et la sécurité par satellite. Le but est un déploiement renforcé de la connexion internet, des communications européennes, et également, ce qui est absolument fondamental dans la période de guerre hybride que subit l’Europe en lien avec la guerre en Ukraine, la protection contre les cyber-attaques. L’opérationnalité complète est prévue dès 2027, on est donc face à un programme ambitieux, rapide et européen.

C’est aussi une vision stratégique de l’UE : la Commission européenne avait fait appel l’année dernière au consortium d’entreprises européennes AEGIS² pour faire des propositions à la Commission sur l’usage d’observations de la Terre à des fins stratégiques et militaires.

Faut-il comprendre que l’Europe n’a à l’heure actuelle pas de capacités propres d’observation et de communication par satellite en orbite terrestre ?

L’Union européenne a des moyens limités, c’est les Etats-membres bien équipés comme la France qui participent beaucoup des capacités actuelles. Et IRIS² vient s’inscrire dans la continuité et le renforcements des capacités européennes propres à l’UE que sont les programmes Copernicus d’observation environnementale ; Galileo, le système de géolocalisation dont on a déjà parlé dans La guerre des étoiles ; et EGNOS, le pendant militaire de Galileo. IRIS² va donc compléter cet arsenal européen, pour offrir à l’UE des communications et capacités de renseignement sécurisés. Tout ça tombe dans le cadre du programme EU GOVSATCOM, visant à permettre l’autonomie stratégique européenne en matière de défense.

IRIS² n’a donc pas vocation à être utilisé par la population civile et les entreprises européennes ?

Si, toute la constellation IRIS² a un double usage, son architecture repose sur un financement public-privé, les opérateurs privés européens en feront usage autant si ce n’est plus que les acteurs institutionnels et militaires.

Comme tout projet qui se respecte et a une grande envergure, le programme a pris du retard et des dépassements de budget initiaux ; ce qui rend d’autant plus indispensables les investissements du secteur privé, qui représentent 40% du financement.

En plus, les fournisseurs qui construiront les satellites de la constellation sont des noms bien connus, on retrouve OHB et Airbus Defense & Space, qui ont produit la constellation Galileo, on retrouve Thales Alenia Space, leader avec Airbus des fabricants européens, et du côté opérateur, Orange, Eutelsat et Deutsche Telekom.

Une fois de plus ce sont les grosses entreprises bien installées qui portent le flambeau alors ?

Ce sont elles qui portent la responsabilité, oui. Mais dans le cadre du programme ScaleUp de l’ESA, l’objectif d’aider au développement d’anciennes et nouvelles entreprises du secteur est repris par l’UE ; 30% des contrats de plus de 10 million d’euros doivent être attribués pour la constellation IRIS² à des PMEs du secteur.

Pourquoi ajouter IRIS² aux communications déjà sécurisées et institutionnelles de Galileo, qui fonctionne déjà très bien ?

Parce qu’on ne parle pas du tout du même volume d’informations qui transitent, ni de la même taille de constellation satellitaire. Galileo, c’est une petite constellation de pointe pour la géolocalisation ; IRIS², c’est le Starlink ET le Starshield européen, presque 300 satellites prévus en orbite basse et moyenne, pour assurer une couverture complète, et avec des opérateurs multiples, y compris institutionnels, ce qui évite un monopole de type SpaceX. On est vraiment au cœur de la préservation des intérêts stratégiques européens, dont l’un des plus pressants est de s’assurer une indépendance justement d’un allié américain incertain avec le retour de Donald Trump et d’Elon Musk dans les plus hautes sphères du pouvoir outre-Atlantique.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.