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IRIS² : une victoire pour la souveraineté européenne ou un gâchis d’argent public ?

Photo de SpaceX - Pexels IRIS² : une victoire pour la souveraineté européenne ou un gâchis d’argent public ?
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Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem ! Aujourd’hui, vous allez nous parler du projet IRIS², financé à hauteur de 10,6 milliards d’euros, et destiné à concurrencer la flotte de satellites de télécommunication Starlink D’Elon Musk.

Oui Laurence, sur le papier, il s’agit d’un nouveau succès pour l’innovation européenne, et nous n’allons pas bouder notre plaisir. Le projet « Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite », IRIS², est censé déployer à l’horizon 2030 une flotte de 290 satellites de télécommunication – 264 en orbites basses à 200 km et le reste en orbite moyenne à 1000 km – afin d’assurer une souveraineté technologique européenne en la matière. En effet, le projet est né du choc qu’a représenté l’utilisation de Starlink pour assurer les communications de l’armée ukrainienne dans le cadre de la guerre en Ukraine. Les Européens y ont perçu le danger de dépendre à l’extrême des Américains pour leurs communications stratégiques, danger avéré dans la mesure où Elon Musk a par exemple décidé de suspendre Starlink à l’été 2023 alors que l’armée ukrainienne voulait passer à l’offensive en Crimée.

Les Européens ont compris qu’une fois de plus, dépendre des Américains dans leurs secteurs stratégiques n’étaient pas une bonne idée.

Tout à fait Laurence, comme précédemment dans d’autres secteurs comme l’aéronautique ou les missiles, ces émotions fortes ont permis de rapidement créer une coalition d’entreprises dans l’aérospatial – avec notamment l’allemand OHB, Airbus, Thalès, et l’espagnol Telespazio -, mais aussi dans les télécommunications – avec Orange ou Deutsche Telekom – et enfin dans les satellites – avec le consortium SunRise associant Eutelsat, SES et Hispasat. Une coopération européenne d’une ampleur inédite.

Et comment va se décomposer le financement ?

Dans ce domaine, l’Union européenne – via notamment son programme d’innovation Horizon Europe –, l’Agence spatiale européenne aussi appelée ESA, la Banque Européenne d’Investissement et les Etats Membres vont contribuer à hauteur de 6,5 milliards d’euros, tandis que le consortium SunRise va investir jusqu’à 4,1 milliards d’euros pour construire la flotte. L’Europe se montre enfin sous son meilleur jour.

Un peu d’optimisme, Victor, cela ne fait pas de mal avant Noël ! Pour autant, cela signifie-t-il qu’IRIS² sera un succès ?

On ne peut pas douter du fait qu’IRIS² comptera dans la télécommunication par satellite, au même titre que Galileo a su démontrer sa grande valeur dans la géolocalisation, et Copernicus dans l’observation de la Terre. Pour autant, nous parlons d’une flotte de 290 satellites, alors que Starlink compte lancer jusqu’à 40 000 satellites d’ici 2030, et les Chinois, avec les projets GuoWang et Hongyan notamment, à peu près 20 000 satellites. L’Europe aura donc de quoi assurer sa souveraineté grâce à une flotte efficiente et économe, mais elle ne pourra pas avoir l’impact sur le grand public, le fameux consommateur final, que les Américains et les Chinois comptent obtenir.

Très bien, j’imagine que vous avez d’autres bémols à ajouter Victor Warhem.

Oui Laurence, absolument. Par exemple, le coût du projet par satellite s’approche de 20 millions d’euros. C’est énorme comparé à Starlink et les projets chinois, dont le lancement par satellite coûte en moyenne un peu plus d’un million d’euros, soit 20 fois moins.

De la bouche de Josef Aschbacher, directeur générale de l’ESA que j’ai eu la chance de rencontrer cette semaine, ceci est dû à un choix stratégique consistant à prendre plus de temps et d’argent pour construire les meilleurs satellites du monde dans leur domaine – comme ce fut le cas peu ou prou pour Galileo et Copernicus. L’Europe vise l’excellence plutôt que la production de masse qui est le facteur principal de réduction des coûts. Bref, malgré sa taille, l’Europe ne compte pas pour l’heure tenter de faire des économies d’échelle dans le spatial.

Intéressant, et donc, quel est au final le verdict Victor Warhem ? IRIS² est-il bien une chance pour l’Europe, ou le projet arrive-t-il trop tard, avec trop peu d’ambitions, ce qui pourrait constituer un nouveau gâchis d’argent public ?

Vous y allez fort Laurence ! On peut néanmoins légitimement se poser cette question. 10,6 milliards d’euros, c’est considérable, ce sont d’autres projets qui ne verront peut-être jamais le jour.

Pour autant, il faut comprendre que nous n’achetons pas un système de télécommunication par satellite. Nous achetons notre souveraineté technologique. Et pour moi, comme pour beaucoup d’autres, cette souveraineté n’a pas de prix, ou presque. Nous continuons par ailleurs de poser les jalons de l’économie du futur, celle de l’exploration spatiale, et dans cette course l’Europe ne peut pas être absente.

L’Europe est ainsi pour une fois au rendez-vous de l’Histoire, se donnant enfin les capacités d’avancer ensemble sur des problématiques de premier ordre. On pourrait presque y avoir le signe que les Européens sont prêts, de manière plus générale, à défendre leur souveraineté dans les domaines qui comptent, en raison notamment d’un comportement américain contrevenant de plus en plus à nos intérêts européens communs.

Comme vous le disiez il y a quelques semaines, Trump pourrait donc bel et bien être une bénédiction pour le projet européen, et IRIS² n’en est que le signe précurseur.

Je ne l’aurais pas mieux formulé ma chère Laurence !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.