Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
On se retrouve cette semaine pour faire un bilan prometteur, je crois, du new space européen. Vous nous disiez il y a quelques semaines que les projets européens ne manquent pas, malgré l’absence persistante et inquiétante de lanceur européen opérationnel.
Il y a en effet des entreprises qui ont été créées à foison en Europe ces dernières années, avec des ambitions variées, allant d’améliorer voire créer une technologie innovante, comme l’entreprise bordelaise HyPrSpace, ou la franco-espagnole Pangea Aerospace, qui regroupe des personnels venus de tous les pays de l’UE et qui travaillent sur un système de propulsion ; à créer de toutes pièces un lanceur pour permettre l’accès à l’espace.
Sur cette ambition des lanceurs, beaucoup d’entreprises européennes se sont positionnées, avec quatre d’entre elles qui ont reçu un contrat de l’ESA en novembre, ce qui signale que l’agence européenne croit en leurs capacités à avancer et tenir leur promesse.
Tout ça semble positif pour l’avenir du spatial européen, on peut arrêter de s’inquiéter des retards d’Ariane 6 alors ?
C’est positif, mais pas que. Déjà, Ariane 6 est un lanceur lourd, là où HyImpulse, RFA, Orbex et Isar Aerospace, les entreprises qui viennent de recevoir un coup de pouce financier de l’ESA, développent des micro-lanceurs. On ne parle pas des mêmes charges utiles, et pour déployer en orbite un gros satellite scientifique comme Hera, qui a été lancé en octobre sur une Falcon 9, l’ESA devra continuer de faire appel à des entreprises extra-européennes tant qu’Ariane 6 ne sera pas opérationnelle.
Ensuite, ce coup de pouce financier montre justement l’inquiétude et l’empressement de l’ESA à sortir de cette crise des lanceurs européenne, à venir assister des entreprises qui n’arrivent pas pour l’instant à passer l’étape des tests de leurs lanceurs pour les faire entrer dans une phase d’opérabilité et d’ouverture des agendas de commande pour que les opérateurs de satellites puissent réserver des créneaux de lancements, et donc faire rentrer de l’argent dans les caisses de ces entreprises.
Ensuite, point inquiétant aussi, c’est qu’on a quatre entreprises qui se positionnent sur un même segment économique de micro-lanceurs, donc avec une charge utile inférieure ou égale à 1000 kilos sur de l’orbite basse, et qu’en Europe, la demande ne sera pas suffisante pour remplir le carnet de commandes de toutes ces entreprises, et des autres, si elles parviennent toutes à mener à terme leur projet de lanceur.
Ça semble contre-intuitif de ne pas se réjouir de tant d’initiatives prometteuses..
Ça n’est pas une fin en soi, tous ces obstacles n’arrêteront pas le développement de lanceurs et de technologies en Europe ! Déjà, les entreprises qui n’arriveront pas à achever le développement de leur lanceur, de leur système de propulsion, de leur capsule – même si on souhaite à The Exploration Company, qui développe la capsule Nyx, d’y arriver ! – donc si elles n’y arrivent pas, les ingénieurs ultra talentueux pourront être débauchés ailleurs, par les entreprises qui finiront leur phase de développement et absorberont leurs anciens concurrents, par les grosses boites déjà bien installées – et ça vaut le coup de parler aussi de Maia Space sur ce point, la branche privée d’Ariane Espace, qui développe un micro-lanceur avec tout le savoir-faire d’Ariane de leur côté – voire aussi, c’est là qu’est la note plus sombre, par des entreprises extra-européennes. La fuite des cerveaux, c’est presque ce qu’il pourrait arriver de pire sur ce point-là.
Et puis il faut aussi remarquer que RFA Augsbourg, par exemple, a une philosophie de faire le plus possible avec le plus petit budget possible, donc une difficulté à lever des fonds ne leur fera pas peur. Et il faut aussi citer la réussite d’étudiants de Lausanne à faire décoller puis atterrir un prototype de fusée réutilisable – à échelle réduite, mais quand même ! cette année. C’est une première en Europe, c’est un casse-tête sur lequel s’attellent les plus gros groupes, qu’un projet estudiantin y arrive va redonner un coup de fouet à ceux qui ont un intérêt économique à équiper leurs lanceurs de cette technologie.
Pour le mot de la fin, quelles leçons pour l’avenir faut-il tirer de ce bilan ?
Il y a pour moi deux choses à retenir: déjà, que l’Europe est peuplée d’ingénieurs innovants ; c’est un manque d’investissement et de demande institutionnelle et commerciale qui empêche le développement de ces entreprises. En plus, la vision de la concurrence ne favorise pas l’émergence de nouvelles entreprises, c’est-à-dire que les clients potentiels préfèrent se tourner vers des lanceurs déjà installés, comme par exemple Eutelsat qui a dépensé l’argent public européen pour lancer sur Falcon 9 plutôt qu’un lanceur européen.
Deuxièmement, que ces entreprises émergent dans des pays d’Europe de l’Ouest qui ont déjà des entreprises installées. Ça montre que le retour géographique a instauré l’idée que seuls la poignée de pays impliqués dans AIrbus et Ariane peuvent participer au secteur du new space.
L’avenir n’est pas tout à fait radieux, mais la multiplication des initiatives montrent vraiment que l’Europe veut être de retour dans la course à la conquête spatiale !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.