Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous avons souvent parlé d’Ariane 6 et de ses retards ici, mais ça y est, c’est chose faite, Ariane 6 est opérationnelle !
Oui enfin ! Jeudi 6 mars 2025, ça y est, Ariane 6 a effectué son deuxième vol d’essai, à la perfection, et a placé en orbite un satellite espion pour le renseignement français, répondant au doux nom de CSO-3. L’Europe a de nouveau un lanceur lourd souverain !
Alors qu’y a-t-il à dire de cet heureux changement de situation ?
Déjà, que ç’a n’a pas été une route droite et tranquille. Le premier vol d’essai d’Ariane 6 n’avait pas été tout à fait été couronné de succès l’année dernière, il y avait eu un problème de rallumage des APU, des petits moteurs auxiliaires, qui n’avaient pas permis de faire rentrer les sondes de test embarquées dans l’atmosphère après la mise en orbite des charges utiles universitaires.
Et bien sûr, Ariane 6 a des années de retard dans son développement, c’est une fusée qu’on attend depuis terriblement longtemps, et dont l’Europe a terriblement besoin. Ce premier vol commercial a d’ailleurs été reporté, plusieurs fois, pour des questions techniques, météo… Et la presse n’a pas été clémente avec Ariane Group et Espace, ce qui est à la fois surprenant dans un contexte politique où l’on s’attend à voir les Européens se serrer les coudes face aux Etats-Unis qui prennent de plus en plus le visage d’une menace que d’un allié. Mais ça montre aussi l’anxiété, l’impatience en Europe de retrouver une souveraineté de lanceurs lourds, d’avoir à nouveau –justement parce que l’Europe doit de plus en plus compter uniquement sur les pays qui la composent– un moyen d’accès à l’espace qui ne dépend pas d’une puissance étrangère.
Maintenant que le premier vol commercial s’est bien déroulé, on peut imaginer que les vols vont s’enchaîner, et que l’Europe va rattraper son retard ?
Oui et non. Ariane 6 va effectivement permettre d’avoir un lanceur souverain pour placer des charges utiles hautement stratégiques et sensibles en orbite terrestre, comme ç’a été le cas avec le satellite du renseignement français. Rattraper les retards que les lanceurs européens ont sur les lanceurs américains, c’est une autre histoire, d’un, parce qu’Ariane 6 n’a hélas pas été conçue comme une fusée réutilisable, ce qui limite aussi le rythme de lancement, puisque que pour chaque vol, il faut construire des moteurs à la coiffe une nouvelle fusée. De deux, parce qu’en France il y a une volonté gouvernementale affichée de se détacher complètement de toute forme de dépendance aux Américains, mais ça ne fait pas consensus en Europe. Donc d’engager une préférence européenne systématique pour lancer des satellites etc, c’est une gageure. Il n’y a aucune certitude que des pays comme la Pologne choisiront Ariane plutôt que Space X pour envoyer un satellite de communication en orbite par exemple.
Que faut-il retenir de ce lancement pour l’avenir ?
Que l’Europe est de retour dans la cour des grands, ça c’est certain. Et d’ailleurs c’est un détail très surprenant, mais comme la charge utile d’Ariane 6 sur ce vol était un satellite espion, je ne m’attendais pas à une telle publicité et visibilité sur les étapes du lancement, et ç’a été tout l’inverse !
On a eu droit à des caméras embarquées sur Ariane 6 pour filmer sous tous les angles les séparations d’étages et le vol, c’est l’adoption d’un spectacle à l’américaine comme nous y ont habitués les vols d’essais du Starship de Space X, et c’est très surprenant. A voir à l’avenir si c’est une mode qui va entrer dans les mœurs européennes, ou si c’était le cas exceptionnellement pour justement montrer, au monde entier, le retour à la souveraineté spatiale de l’Europe.
Vu les tensions actuelles avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine, ça ne serait pas surprenant ; mais c’est vrai aussi qu’avoir des caméras embarquées permet d’offrir un spectacle impressionnant, même aux moins avertis, et donc de faire parler, et la publicité attire de nouveaux clients.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.