Retrouvez chaque semaine la semainière de Quentin Dickinson sur euradio. L'occasion de découvrir la diplomatie et l'actualité européenne sous un nouvel angle.
Alors, Quentin Dickinson, avez-vous passé une bonne semaine ?...
Sans aucun doute. Le Conseil européen des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement aura, mercredi et jeudi dernier, accouché – certes dans la douleur – d’un véritable méga-chantier.
De quoi s’agit-il ?...
C’est tout simplement la voie vers une redéfinition fondamentale des politiques économiques de l’Union européenne. Celles-ci ont été élaborées et mises en œuvre à une époque où le commerce se voulait ouvert et mondial, dans le cadre de règles et de recours connus et respectés de tous. Les États pouvaient avoir leurs différends, mais ceux-ci ne devaient pas perturber les flux internationaux de marchandises, garants d’un accroissement régulier de la prospérité, elle-même moteur d’une irréversible tendance universelle à la démocratie et à l’État de droit.
Mais le monde a bien changé depuis lors…
En effet. D’abord insensiblement, ensuite en peu de temps et brutalement, nos certitudes heureuses se sont évanouies. Le monde d’aujourd’hui et de demain est celui d’une rivalité politique, économique, et militaire entre les États-Unis d’Amérique et la Chine ; c’est celui où il est à nouveau toléré qu’un pays annexe par la force le territoire d’un autre ; c’est celui où la menace de conflits armés est devenue routinière et que le recours à l’arme nucléaire plane à nouveau sur nos têtes ; c’est celui où la désinformation est passée au stade industriel et s’adresse directement à chaque citoyen, aujourd’hui par les plateformes numériques, demain par l’intelligence artificielle, d’une imparable efficacité dès qu’il s’agit d’instiller la confusion dans les esprits. Et une partie non-négligeable des dirigeants politiques de la planète ne croit plus au modèle démocratique occidental.
Confrontée à ces nouvelles réalités, l’Europe se découvre marginalisée.
Comment cela ?...
Simplement parce que, depuis la pandémie de COVID-19, son économie décroche très nettement par rapport à celles des Américains et des Chinois, et demain sans aucun doute des Hindous. Et les orientations du Sommet européen visent à redresser la barre – tant qu’il est encore temps.
Les Vingt-sept avaient chargé l’ancien Premier ministre italien Enrico LETTA et l’ancien Président de la Banque centrale européenne Mario DRAGHI, italien lui aussi, de produire chacun un rapport consacré au redémarrage de la compétitivité de l’UE. M. LETTA était présent au Sommet et a présenté les grandes lignes de son rapport, intitulé L’UE, bien plus qu’un marché. Celui de M. DRAGHI est attendu pour le mois de juin.
Quels sont les points forts des propositions LETTA ?
D’abord que, trente ans après l’inauguration du grand marché unique européen sans frontières, il est temps de réduire sa dépendance vis-à-vis de pays tiers dans nombre de domaines, tels les matières premières critiques, les semi-conducteurs, les produits pharmaceutiques, les biotechnologies, et l’espace, parmi bien d’autres. Pour y parvenir, il convient de rebâtir l’outil industriel de l’UE grâce à un financement public-privé massif, aidé par une mise en commun des gisements de fonds, qui, trop systématiquement, quittent l’Europe pour aller investir Outre-Atlantique. Le rachat des entreprises européennes de pointe par des groupes étrangers devra être très sérieusement freiné ; leur consolidation devra s’effectuer prioritairement avec d’autres entreprises européennes. Enfin, les règles européennes sur la libre concurrence ne devront plus faire obstacle à la création de champions industriels de l’UE de taille mondiale.
A un tout autre niveau, la semaine écoulée aura été marquée, à BRUXELLES, par un incident politiquement instructif, Quentin Dickinson…
C’est l’histoire d’une gestion irréfléchie d’un non-problème. Une association, récemment lancée ici par des amis du Premier ministre hongrois Viktor ORBÁN, entendait organiser un mini-sommet de l’extrême-droite européenne, où M. ORBÁN et d’autres ténors du même tonneau, dont Éric ZEMMOUR et le Brexiteur Nigel FARAGE, devaient se produire. Une première municipalité bruxelloise socialiste interdit la manifestation sur son territoire ; une deuxième, libérale, fait de même ; enfin, une troisième, dirigée par un Turc expulsé du Parti socialiste pour ses contacts avec la droite dure de son pays d’origine autant que pour sa négation du génocide arménien, s’aperçoit tardivement de la tenue de ladite réunion, et envoie la police disperser la petite trentaine de participants, présents dans une salle, appartenant d’ailleurs à un ressortissant tunisien. Résultat : cet événement confidentiel s’est imposé dans l’actualité au-delà du raisonnable. Passablement agacé, l’ancien Premier ministre belge et actuel eurodéputé centriste Guy VERHOFSTADT a estimé que ceux qui avaient voulu museler l’extrême-droite leur avait fait une publicité inespérée et, de fait, avaient marqué un but contre leur propre camp.
Quelques brèves, pour conclure ?...
Allons faire un tour au Royaume-Uni, où il est fortement question d’interdire à vie le tabac et le vapotage aux personnes nées après 2009 ; la mise en œuvre de ce projet gouvernemental paraît semée d’évidentes embûches.
Pendant ce temps, en Écosse, le mari de l’ancienne Première ministre régionale Nicola STURGEON a été inculpé d’escroquerie et de détournement de fonds au détriment du Parti national écossais, dont il était depuis plus de vingt ans le directeur général. La cause du retour à l’indépendance et à la souveraineté de l’Écosse risque fort de pâtir durablement de ce dérapage.
A LONDRES, dans la perspective des législatives qui devront se tenir avant la fin de cette année, le Parti travailliste, grand favori, décide de miser gros sur les jeunes influenceurs : une équipe vient d’être créée tout spécialement pour inonder de messages politiques TikTok et Instagram. Pas sans risque, mais à suivre.
Enfin, le jugement définitif de la semaine nous vient de Tony BLAIR ; pour l’ancien Premier ministre britannique, « La démocratie en Occident a vraiment perdu sa boussole : il existe aujourd’hui un risque réel que n’entrent plus en politique que les très riches et les complètement déjantés ».
Heureusement, Donald TRUMP est là pour nous prouver qu’on peut être les deux à la fois.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.