Alors, avez-vous passé une bonne semaine ?
Pas vraiment. Au moins quatre affaires distinctes ont surgi ces jours-ci, qui toutes démontrent l’invraisemblable incapacité des institutions européennes à anticiper et à communiquer. Ce n’est pas nouveau, me direz-vous, mais l’on constate une fois de plus que l’UE cultive avec talent le don de distribuer des martinets pour se faire fouetter.
Vous pensez à quoi en particulier ?
D’abord, aux suites données au Parlement européen à l’affaire de corruption connue sous le nom de Qatargate, que nous avons eu maintes fois déjà l’occasion d’évoquer à ce micro. A l’issue de longues et pénibles palabres, les instances dirigeantes du Parlement ont réduit ce scandale – dont les retombées menacent la participation et les choix politiques des électeurs aux européennes dans un an – à la seule question du libre accès d’anciens eurodéputés, reconvertis dans le lobby, aux locaux de l’institution à STRASBOURG et ici, à BRUXELLES. Décision surréaliste : ces ex-élus devront attendre six mois, après la fin de leur mandat, pour aller tenter d’influencer leurs ex-collègues toujours en fonction sur les lieux de leur travail…alors qu’il suffit qu’ils les rencontrent dans les nombreux bistrots et restaurants devant la porte du Parlement pour que celui-ci ne trouve rien à y redire.
Autre dérapage ?
Vous vous souviendrez du récent soulèvement populaire en Géorgie, qui a amené le gouvernement de ce pays à retirer le projet de loi, sur le modèle de la législation en vigueur en Russie voisine, qui aurait obligé tout média ou ONG financé même partiellement par des institutions ou fondations non-géorgiennes à s’inscrire sur une liste d’agents étrangers. Or, voilà qu’on découvre qu’au même moment, la Commission européenne travaillait sur un texte destiné à contrer l’immixtion d’agents, principalement russes et chinois, dans les élections dans les pays européens, à contrer aussi les tentatives de corruption et d’influence de l’opinion de nos concitoyens…au moyen d’une liste d’agents étrangers. Avouez qu’on aurait pu choisir un autre moment pour l’annoncer – d’autant qu’en Géorgie, les militants pro-européens crient au coup de poignard dans le dos…le tout, bien sûr, sous le regard amusé du Kremlin.
Vous citiez quatre sujets d’agacement – quel est le troisième ?
C’est l’annonce de la nouvelle politique industrielle de l’UE, connue sous le nom d’Industrie Net Zéro. Pour faire court, c’est une priorité absolue donnée aux entreprises axées sur les nouvelles technologies, et qui, parallèlement, entend assurer la réduction massive des pollutions engendrées par toute activité industrielle. Exemple : un fournisseur d’accès informatique, dont le système de refroidissement des gros ordinateurs sert à chauffer gratuitement une piscine municipale. Je vous devine perplexe à l’idée que je puisse vouloir critiquer cette initiative d’envergure – mais voilà : l’Union européenne prend à la hâte ces décisions, sept mois après les États-Unis et dix ans après la Chine.
On aurait pu faire preuve de plus de clairvoyance politique, non ?
Et le dernier sujet de grogne, c’est…
…c’est le mystérieux escamotage d’un volet de l’encore très incomplète Union bancaire européenne, volet qui est destiné à étendre aux banques de moyenne importance le dispositif de garantie des comptes des clients jusqu’à concurrence de 100.000 Euros chacun, ainsi que la possibilité de décaisser les fonds avant la mise en faillite d’un établissement, plutôt qu’après. Ce dossier se retrouve brutalement encalminé, sans qu’on sache exactement sous quelle pile et dans quel bureau la pesanteur administrative de la Commission européenne a pu l’ensevelir. Au moment où l’onde de choc de l’effondrement de la Silicon Valley Bank américaine s’étend aux activités de celle-ci en Europe, c’est quand même un peu gênant.
Vous n’avez vraiment rien d’agréable à nous raconter cette semaine ?
Si, bien sûr ! Sur la question de la mutualisation européenne de l’achat de munitions pour l’Ukraine, on a désormais un accord sur la somme initiale de deux milliards d’Euros, à lever par les pays de l’UE, à l’exception des neutres (Irlande et Autriche) mais avec la participation de la Norvège, membre de l’OTAN mais non de l’UE. La moitié de ces fonds permettra de puiser dans les stocks existants ; l’autre moitié servira à lancer des commandes nouvelles. On peut remercier l’Estonie d’avoir porté efficacement ce projet et en un temps-record.
Mais l’Europe étant l’Europe, on assiste encore à des manœuvres de dernière minute pour savoir si la coordination en sera assurée par l’Agence européenne de Défense, ce qui serait logique, donc suspect.
Toujours au chapitre de la sécurité collective, je ne pourrais que comprendre que la nouvelle vous ait échappé, puisqu’elle n’a fait l’objet d’aucune communication : l’Europe s’est saisie des menaces venues de l’espace – nom de code du programme : Iris². Alors, pour l’heure, les petits hommes verts et autres extraterrestres ne sont pas visés, mais les satellites-tueurs de satellites le sont, tout comme le brouillage de réseaux de satellites-relais de télécommunications terrestres. Une version militaire du réseau de satellites européens Copernicus serait à l’étude.
Enfin, aux Pays-Bas, le résultat des élections régionales s’est avéré particulièrement mauvais pour le gouvernement de centre-droit de M. Marc RUTTE : le Mouvement des Paysans citoyens, le BBB, selon ses initiales en néerlandais, en est le grand vainqueur. Or, ce sont ces élections-là qui déterminent la composition de la Première Chambre des États-généraux, c’est-à-dire l’équivalent d’un sénat. Et M. RUTTE aura en face lui un groupe de parlementaires résolus à freiner l’interdiction de produits chimiques dans l’agriculture et l’élevage.
Bon, tout cela ne nous laisse pas beaucoup de temps pour évoquer la semaine actuelle…
Donc, très rapidement : cette semaine européenne est entièrement dominée par le Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE, jeudi et vendredi, ici à BRUXELLES. Nous en ferons le bilan ensemble la semaine prochaine.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.