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Crise de l'eau : la communauté international a-t-elle réellement pris conscience du problème ?

Crise de l'eau : la communauté international a-t-elle réellement pris conscience du problème ?

Romain L'Hostis reçoit Antonella Cagnolati, présidente de l'ONG Solidarité Eau Europe, pour analyser les suites de la Conférence des Nations Unies sur l’eau 2023, dans un contexte de tensions accrues autour de la ressource en eau sur la planète.

Romain L’Hostis : Antonella Cagnolati, anciennement directrice du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux au Conseil de l‘Europe, vous êtes à présent présidente de Solidarité Eau Europe, une organisation non gouvernementale présente à Strasbourg et que vous avez co-fondé, et qui, avec le Secrétariat international de l’eau (SIE) regroupe des citoyens et organisations engagés pour atteindre l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement. A ce titre votre équipe était présente à New York lors de la Conférence des Nations Unies sur l’eau 2023. C’était la première fois depuis 40 ans que se tenait une telle conférence internationale sur l’eau, la dernière fois c’était en 1977. Pourquoi maintenant et pourquoi si longtemps après la précédente ? Est-ce normale ?

Maintenant c’est l’heure de faire pression sur les gouvernements, qui jusqu'ici, s’engagent mais pas de façon contraignante.

Antonella Cagnolati : Alors là je pense qu’on a affaire à une espèce de présentation de média. Parce qu’on ne peut pas dire qu’entre la Conférence de Mar de Plata et celle de New York en 2023 il n’y ait rien eu. Il y a eu plein de choses. Il y a eu des créations d’agences, il y a eu le droit à l’eau. D’accord, il n’y a pas eu une conférence sur l’eau où le monde se penche sur l’eau. Mais étant donné que cette conférence fait l’état des lieux de l’avancée vers les ODD, et que un des ODD, le n°6, c’est l’eau, cela signifie que lorsqu’on a décidé d’introduire un Objectif de Développement Durable sur l’eau, c’est qu’on a bien réfléchi à l’eau.

R. L. : Donc selon vous c’est davantage pour marquer les esprits ?

A.C. : Oui, parce que le grand comité ou la grande agence des Nations Unies qui s’appelle Nations Unies Eau, elle existe bien ! Le problème de ces agences, c’est une de nos demandes notamment, c’est que toutes ces agences, on peut dire que jusqu’à présent les Nations Unies n’ont pas pris vraiment en compte le problème de l’eau. UN Eau par exemple, je ne sais pas combien de personnes, de fonctionnaires travaillent pour cette agence. Mais on se plaint qu’il n’y a pas assez de moyens, de personnels. Donc au final, ce sont un peu des machines qui tournent à vide.

R. L. : Car il n’y a pas assez de moyens mis en oeuvre ?

A.C. : Oui voilà. Alors, là aussi oui on veut un représentant, un envoyé spécial pour l’eau, pour les jeunes.

R. L. : C’est ce que la France réclamé lors de la Conférence des Nations Unies sur l’eau.

A.C. : Mais un envoyé pour l’eau, qu’est-ce qu’on veut faire ? On veut un monsieur que tout le monde connaît, qui se ballade dans les pays pour porter la bonne parole. Eh bien non.

R. L. : Donc c’est juste de la communication selon vous ?

A.C. : Non, mais il faut demander en plus [de cet envoyé pour l’eau] un secrétariat, des gens, des moyens, et par exemple un mécanisme de monitoring.

R. L. : Avec un calendrier, des actions à mettre en place ?

A.C. : Oui, avec un calendrier, avec l’obligation de rendre des comptes. Je prends un terme un peu brutal, mais c’est ça qui compte. C’est pour ça que je dis que maintenant c’est l’heure de faire pression sur les gouvernements, qui s’engagent mais pas de façon contraignante. 

Je crois que cette Conférence a vraiment mobilisé beaucoup de monde. Toutes catégories confondues, société civile et gouvernements ont compris que le moment était grave. Cela oui. [...] Mais je crois que l'eau n'est pas encore la priorité n°1.

R. L. : Vous preniez l’exemple du droit à l’eau, qui a été adopté en 2010 par les Nations Unies. L’accès à l’eau et à l'assainissement est un droit de l’Homme depuis dix ans. Et vous me disiez qu’il y a encore 2 milliards voire plus de personnes qui n’ont pas encore accès à l’eau. C’est paradoxal. Selon, est-ce parce qu’il n’y a pas assez de moyens de contrainte ?

A.C. : Il n’y a pas assez de moyens. Et moi je dis souvent “on ne passe pas de la déclaration à l’action”. C’est comme une Convention. On la fait, les pays se mettent d’accord, par exemple ils sont 40 pays à la signer. Et tout de suite on voit le filtre apparaître, au moment de la ratification, lorsque dans tous les Parlement il y a toutes les réserves et les intérêts particuliers qui se multiplient. La ratification est compliquée, et seulement lorsqu’un nombre minimum de ratifications est obtenu, la Convention peut se mettre en œuvre. Et pour alors, je peux vous dire que le délai est énorme, et la mise en œuvre ne correspond plus aux attentes que le texte suscite lorsqu’il est adopté.

R. L. : Donc là vous restez sur cet état d’esprit désabusé à la suite de cette Conférence ? Beaucoup d’engagements, peu de moyens réels mis en oeuvre ?

A.C. : Non, moi je crois que cette Conférence a vraiment mobilisé beaucoup de monde. Toutes catégories confondues, société civile et gouvernements ont compris que le moment était grave. Cela oui. Mais, est-ce qu’il y a une priorité eau ? C’est vrai que nous sommes dans un monde aujourd’hui difficile : l’énergie, la guerre, des taux d’inflations qui grimpent aux étoiles, donc la situation est difficile. Mais j’imagine que dans les gouvernements on va dire qu’il y a des priorités. Et je crois que l’eau n’est pas encore priorité n°1. Mais là il faut se dire “on veut vraiment”. D’ailleurs, nous dans nos appels on demande des financements du gouvernement qui disent “oui, on met le paquet”. 

R. L. : Donc vous partagez le constat d’Antonio Guterres lorsqu’il dit que l’humanité “est en train d’épuiser goutte après goutte l’eau” ? 

A.C. : Elle est un peu alarmiste la déclaration de M. Guterres, mais elle est réelle. Cela va peut-être alarmer la société civile, les gens, vous, moi, nous. On connaît un peu les mécanismes des gouvernements : ils vont nous dire “oui c’est grave, mais il y a d’autres priorités”. C’est ça le problème. 

R. L. : Selon, quelle devrait être la priorité ? L’eau ? L’assainissement ?

A.C. : L’eau et l’assainissement. C’est indissoluble. On a tendance à négliger l’assainissement et à préférer l’accès à l’eau.

Et maintenant, le niveau du fleuve du Pô en Italie est tragique. Il se meurt. Et ça ça m’a tellement impressionné : pour retrouver le niveau que le Pô devrait avoir à cette saison, il faudrait qu’il pleuve pendant un mois et demi sans s’arrêter. Vous concevez cela ?

R. L. : Mais pour l’instant, on a l’impression que c’est l’agriculture qui est la principale bénéficiaire de l’eau. Nous en avons drastiquement besoin de l’agriculture, aussi. Comment faire la balance entre ces différentes priorités et usages de l’eau ?

A.C. : Il faut améliorer le rendement agricole, ça c’est certain. La science doit aider à ça, dans les méthodes de production, parce qu’il y a aussi de la perte dans ce domaine. L’agriculture j’y vois la technique, les économies d’eau, car évidemment ce sont des énormes consommateurs. Peut-être des productions plus économes en eau. Moi, je ne suis pas spécialiste des chiffres, mais quand on regarde par exemple le maïs, cette culture demande des quantités d’eau impressionnantes. 

R. L. : Et la viande encore plus.

A.C. : Aussi récupérer l’eau ! Parce que cela fait sourire car cela fait penser à des temps passés où il y avait des grands bidons où on récupérait l’eau de pluie. Oui, il faut récupérer l’eau, et on ne le fait pas.

R. L. : Sauf dans des grandes “bassines”, comme l’actualité le montre.

A.C. : Oui, mais quand on récupère l’eau de pluie, la source est naturelle. Là [avec les bassines] on pompe dans les nappes phréatiques. [...] Je peux vous dire que je vis mon changement. Je l’ai vu. Moi, je suis italienne, et je vis dans la région du Pô, qui est le fleuve le plus important d’Italie, qui est riche en eau, qui arrose cette plaine du Pô qui est d’une grande richesse agricole. Et maintenant, le niveau du Pô est tragique. Il se meurt. Et ça ça m’a tellement impressionné : pour retrouver le niveau que le Pô devrait avoir à cette saison, il faudrait qu’il pleuve pendant un mois et demi sans s’arrêter. Vous concevez cela ? Il y a une partie des choses qui sont irréparables, qui sont perdues. Une biodiversité, les ressources en eau… évidemment avec la transition énergétique, on peut parer à cela, mais les pertes sont souvent irréparables. On ne refera pas une planète neuve, on peut arrêter le désastre. On peut arrêter que l’on ne meurt, si on veut.

R. L. : Merci Antonella Cagnolati.