euradio à Strasbourg

Lutte contre l'homophobie : Garance Coquart-Pocztar, une artiste engagée en Alsace

Lutte contre l'homophobie : Garance Coquart-Pocztar, une artiste engagée en Alsace

Romain L’Hostis reçoit dans les studios d’Euradio Strasbourg Garance Coquart-Pocztar, artiste plasticienne engagée dans des associations militantes LGBTQIA+, et à ce titre réalise des interventions en milieu scolaire en Alsace pour sensibiliser la jeunesse et les adultes à la lutte contre les discriminations.

Est-ce que tu pourrais nous expliquer en quoi consiste ton activité ?

Je suis artiste plasticienne, j’ai plein d’activités sous cet intitulé. Je fais principalement de la bande dessinée, de la vidéo, de la performance, mais aussi plein d’autres choses. En parallèle de ma vie d’artiste, c’est vrai que je suis très impliquée dans des associations militantes LGBTQIA+. J’ai fait partie de SOS Homophobie pendant presque 4 ans, et maintenant jue fais partie de la station LGBTI de Strasbourg et d’Alsace. J’ai commencé à militer à SOS Homophobie lors de ma dernière année d’étude.

SOS Homophobie qui est une association ? Est-ce que tu peux nous en parler un peu plus ?

Oui, c’est une association nationale qui, à la base, c’était principalement une ligne d’écoute pour les personnes victimes ou témoins d’actes homophobes ou transphobes. Puis qui s’est élargie à une mission de militantisme, une mission de sensibilisation et toujours la mission d’écoute. Moi, je me suis impliquée principalement dans la mission de sensibilisation, ce qui m’intéresse c’est vraiment de sensibiliser les collégiens et lycéens, mais aussi un public adulte à la lutte contre les discriminations. 

Dans le cadre de ton engagement pour cette association, tu as commencé à réaliser des activités de sensibilisation. De quoi s’agit-il ?

Alors c’est principalement des interventions où on va en milieu scolaire. On se déplace vers les collèges et les lycées, où on prend classe par classe pendant 2 heures pour discuter. C’est vraiment sous la forme de débats, des différents enjeux autour des orientations sexuelles, de l’identité de genre, on ne parle pas du tout des pratiques sexuelles, c’est vraiment focalisé sur la lutte contre la discrimination. L’idée c’est à la fois de donner les bons termes, de faire découvrir des choses qui peuvent être mal connues ou qui sont encore taboues, et ensuite de sensibiliser aux discriminations qui y sont liées, pour inciter à ne plus discriminer. Toujours en élargissant à toute forme de discriminations, pour leur montrer qu’il s’agit d’un système. La discrimination c’est un système très vaste qui peut toucher plusieurs personnes et qui finalement a les mêmes mécanismes, quelque soit la discrimination.

Cette activité tu la fais toujours dans le cadre de SOS Homophobie ?

Non, j’ai quitté SOS Homophobie en 2021 pour rejoindre la Station : c’est une association inter-associative : la volonté de départ c’est de réunir toutes les associations LGBTQI de Strasbourg, et de leur donner accès à un lieu où ils peuvent se rencontrer. Du coup quand j’ai rejoint avec des amis cette association, on a créé le pôle sensibilisation qui n’existait pas encore, c’était très intéressant, car c’était le moment pour écrire le déroulé de ce qu’on allait dire en milieu scolaire ou auprès d’adultes. Parce que c’est vrai que c’est une tâche très vaste la sensibilisation en milieu scolaire, c’est une tâche sans fin. Et me concentrer sur le local m’intéressait plus, et cela me permettait de garder plus d’énergie.

Comment adapte-t-on son discours lorsqu’il s’agit de sensibiliser un public entre des enfants de 7 ans ou de 14 ans ?

A titre personnel, j’interviens de la 4e à la Terminale, puis après à un public adulte. Ce n’est pas parce que je pense qu’il est impossible de parler de cela avant, mais c’est juste qu’on est très peu à faire des interventions, donc en fait on s’est concentrés sur les niveaux de la 4e à la Terminale, parce qu’on ne peut pas tout faire. Et adapter son discours en fait ça s’apprend. On ne va pas en milieu scolaire comme ça, sans être formés, on suit des formations, on discute beaucoup entre bénévoles, on suit l’actualité, pour savoir comment on peut adapter notre discours, qu’il ne soit pas choquant, ou non adapté à l’âge des élèves. Et pareil lorsqu’on va auprès d’adultes, ce ne sera pas le même contenu, ni la même forme car le public adulte n’a pas les mêmes enjeux de vie en fait face à nous, et je pense c’est juste quelque chose qui s’apprend. Si on pouvait, je pense qu’il serait mieux de commencer encore plus tôt, car on a eu l’exemple tragique du jeune Lucas qui avait 12 ans qui s’est suicidé parce qu’il subissait de l’homophobie, donc pour moi si on est capable de subir de l’homophobie à 12 ans, on est capable d’entendre comment dire, 2 heures de sensibilisation contre l’homophobie et même c’est nécessaire.

Est-ce une étape obligatoire lors de chaque opération de sensibilisation ? Tu parles de ces exemples tragiques à chaque fois, ou bien n’est-ce pas nécessaire ?

On peut s’appuyer sur le rapport sur l’homophobie qui est fait par l’association SOS Homophobie. C’est un livre où tous les ans on recense les actes homophobes qui ont pu avoir lieu et qui ont été soit récupérés par des témoignages sur la ligne d’écoute, ou soit par une veille faite par les bénévoles, et cela peut être un document ressource lors des interventions en milieu scolaire. Mais on ne va pas l’utiliser systématiquement parce que l’idée n’est pas que les élèves à la fin soient déprimés, ou si potentiellement il y a un élève LGBT dans le groupe et qui a du mal à le vivre, il ne faut pas qu’il se dise “mon futur plus tard c’est de me faire tabasser”. Voilà, ce n’est pas ça l’idée. Les témoignages choc on les garde un peu, pour parfois leur faire prendre conscience qu’on ne vient pas pour rien, que derrière il y a des vraies histoires et elles sont tragiques. Mais l’idée n’est pas de focaliser que là dessus non plus car ça peut être assez dur, et cela aussi c’est quelque chose sur la manière de s’adapter au public qu’on a. Trouver un équilibre à chaque fois entre il se passe des choses très dures et très graves, et en même temps ça peut être très beau de vivre son homosexualité, et ce n’est pas une tragédie qui va s’abattre sur nous.

Quelles sont les questions que tu reçois le plus lorsque tu es en opération de sensibilisation dans les écoles ?

Cela peut être très variable. On se découvre toute sa vie, mais c’est vrai qu’entre 12 ans et 18 ans il y a un changement immense en fait sur la personnalité des gens, et nous nos interventions elles se terminent toujours par un temps de questions anonymes, mais c’est vrai que la question de savoir si on est gay, est-ce qu’on peut devenir gay du jour au lendemain, est-ce que si on est sorti avec des filles, on peut quand même devenir gay après ? ça ça sort beaucoup. Je pense que c’est une grande interrogation de se dire comment on sait qui on est, est-ce que ça va changer, et avec toujours cette peur qui prouve bien cette homophobie qui reste. Ils ont peur de devenir homosexuels pour certains.

Une peur qui découle d’une incompréhension selon toi ?

Oui, et je pense qu’il y a aussi la peur d’être discriminé en fait, de se dire “ah mais ça pourrait être moi, du coup ça fait peur”. Même sans cette peur, voilà la question de savoir qui on est, comment est-ce qu’on est sûr, ça revient tout le temps. Et c’est des questions auxquelles on n’a pas forcément de réponse, à part dire qu’on se découvre toute sa vie, et que voilà il n’y a pas de mauvaise orientation sexuelle, on ne peut pas dire plus de chose.

Récemment tu as publié un livre, un récit, intitulé “La pluie et la lumière forment l’arc-en-ciel”. Est-ce que tu peux nous en parler un peu plus ?

Quand j’ai fait ma 1ere intervention, j’avais un carnet avec moi et c’est assez spontanément que je me suis mise à dessiner, parce que je me suis rendu compte que c’est un temps dans une scolarité qui est hyper précieux, en fait il y a très peu de temps où on prend tous les élèves entre eux, où on les laisse parler sur des sujets libres, qui ne sont pas abordés à l’école. Et je me suis dit ce temps précieux, le seul moyen que j’avais pour en rendre compte, c’était de le dessiner. Et après ce réflex m’a suivi dans mes autres interventions, je prenais des notes entre chaque interventions, ou même je dessinais ce qui se passait. Et après mon année de diplôme, j’ai travaillé à redessiner et réécrire entièrement cette bande dessinée, donc en me basant sur ces journaux de bords que j’avais, mais en rajoutant une trame narrative plus construite pour que ça devienne un récit lisible pour toutes et tous, et pas juste une collecte de souvenirs pour moi. Parce que moi j’estime ne pas avoir eu ces interventions quand j’étais au collège-lycée, je trouve que c’est un vrai manque. J’ai eu envie de dessiner, et pourquoi ça prend la forme d’une BD c’est parce que c’est mon langage, c’est la manière dont je m’exprime le plus facilement, et je trouve cela intéressant car c’est beaucoup plus facile de faire lire une bande-dessinée sur ce sujet, plutôt que de faire lire un livre qui pourrait sembler beaucoup plus austère, alors que là il y a un côté plus populaire dans la bande dessinée, il y a un côté plus accessible, voilà, pour en parler plus librement et atteindre un public plus facilement.

Merci Garance Coquart-Pocztar.

Entretien réalisé par Romain L'Hostis.