En ce mois de juin, Jacques Schmitt, président de l'association Unir l'Europe, engagé depuis de nombreuses années pour une meilleure unité politique européenne, organise un rassemblement à Strasbourg. Euradio Strasbourg était présent lors de l'événement.
Vous avez organisé ce rassemblement ici à Strasbourg pour commencer à organiser ce que vous appelez la relance démocratique européenne, est-ce que vous pouvez nous expliquer un petit peu plus sur la raison de de ce rassemblement ici à Strasbourg ?
Pourquoi ? Parce que le message qu'on veut porter ici, c'est justement un message qui soit un message qui soit aujourd'hui porté de la manière la plus globale qu'il soit vers 450 millions de citoyens et de citoyennes d'Europe. Parce que pour exercer un plein droit démocratique, il faut être citoyen, et nous devons être citoyen pour pouvoir exercer une souveraineté. Je suis la génération de ceux qui, après guerre, ont su préserver la paix. C'est un grand crédit à apporter aux citoyens d'Europe, et ce crédit-là heureusement dans la situation le contexte tragique que nous sommes, nous sert de base de départ. Il y a maintenant 14 ans, était lancé à Strasbourg, au palais universitaire - qui était fermé on l'a ouvert pour l'occasion - le 10 août c'était les 60 ans de la réunion de la première Assemblée parlementaire consultative, dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui a eu lieu au sein de l’aula du palais universitaire de Strasbourg. Le 10 août j'étais là pour la même raison qu'aujourd'hui, 14 ans. Et en 14 ans qu'est-ce qui a bougé ? En Europe rien. Les Européens ? Un tout petit peu. Les politiques ? Les politiques, ils brillent. Voilà.
Pourquoi dites-vous que vous ne croyez pas dans les grands exercices de consultation citoyenne tels que ceux que l'Europe a connu ces dernières années ? La conférence sur l'avenir de l'Europe pour ne citer que le dernier d’entre eux.
C’est vraiment inadmissible cette situation qu'on a à Strasbourg. On a les leviers pour faire l'Europe qu'aucune ville dans l'Union européenne ne possède. Aucune ville ne possède ce levier, et nous nous l'avons. Et nous ne tirons pas dessus ! Depuis des dizaines et des dizaines d'années, nous ne tirons pas dessus. Parmi les derniers qui ont tiré sur ce levier c'était le dernier maire européen de Strasbourg, qui était Pierre Pflimlin, il a quand même été président du Parlement européen, et Daniel Riot qui est le seul à avoir écrit un ouvrage d’échange avec Pierre Pfimlin, qui a écrit sur l'Europe des tas de choses mais qui n'est jamais lu. On lit d'autres mais pas Pierre Pfimlin. [...] Et Pierre Pfimlin a dit tout sur l'Europe tout ce qu'il fallait dire de moderne sur l'Europe il l'a dit. On va dire entre Schumann et ce qui s'est passé après jusqu'à Kohl, Pierre Pfimlin en a été le relais absolu de cette parole européenne à Strasbourg. Et c'est pour ça qu'il est toujours face au bâtiment actuel du Conseil de l'Europe parce qu'à l'époque où a été fait de la statue, n'existait pas le Parlement européen qui a été construit à la place actuelle. Alors on n’a vraiment pas le choix. Alors on a eu droit à des parodies de sensibilisation des citoyens en Europe. Avant-dernière parodie : les conventions citoyennes organisées par Emmanuel Macron en 2018. J’en ai fait partie du début à la fin. La fin a été catastrophique, c'était au Conseil économique et social environnemental à Paris. Sur à peu près 5000 pages d'écrit, on a demandé à des gens comme moi et quelques-uns d'écrire 10 lignes pour le Conseil européen. Ce que j'ai refusé de faire, j'ai quitté la salle. 2e parodie : la conférence sur l'avenir de l'Europe. On en entend plus parler. Si vous avez pu remarqué, c'est la grande Conférence sur l'avenir de l'Europe qui va été préparée l'année dernière. On n’en entend plus parler. J’y ai cru fortement et à cette occasion, j'ai lancé ce que je n'avais pas lancé, j'en avais parlé souvent je l'avais pas fait. C'est comme ça quand on est pas trop nombreux : pour vous dire nous au sein d'Unir l'Europe, on est 180 actifs dans 22 pays de l'Union européenne. C'est pas beaucoup et c'est beaucoup à la fois.
Ces dernières années, vous avez vous-même parcouru le continent lors des “itinéraires citoyens européens” pour rencontrer ces citoyens et citoyennes européens. Est-ce que vous pouvez nous en parler un petit peu plus ?
Je suis un Européen convaincu, il faut que j'aille voir ce que pensent les citoyens de l'Europe. Je vais prendre mon bâton et puis je vais aller voir. Parce que si vous ne parlez pas aux gens si vous n’allez pas voir les gens, vous ne pouvez pas parler à leur place. C'est insensé, c'est du grand n'importe quoi. Donc il faut aller les voir ! Faut aller les voir. Donc il m'a fallu 8 ans pour aller les voir. J'ai fait 8 parcours, et puis en plus j'aime voyager, donc je me suis dit qu'est-ce que je fais ? j'en fais un. Le premier : axe rhénan. Donc je suis parti de la bibliothèque humaniste et j'ai terminé par la maison d'Érasme à Anderlecht donc juste à côté de Bruxelles. Le 2e itinéraire européen je l'ai fait sur le centre de l'Europe, puisque c'est cette Europe qu'on connaissait si mal, des pays de l'Est et qui venaient d'être ouverts. Dont on disait il y a pas de sens européen, on a juste ouvert le marché européen, la concurrence. Donc je voulais aller voir. Je suis allé jusqu'à Budapest, Bratislava etc. la Pologne etc. en revenant par la Croatie qui venait d'intégrer l'Europe, ça aussi ce n’était pas inintéressant puisque avant on avait la Yougoslavie, et puis maintenant on a cette série d'États aux portes des Balkans. Donc ça c'était le deuxième, le troisième je l'ai fait tout au nord et j'ai fait les pays scandinaves. Le 4e j'ai fait la culture grecolatine : essentiellement la Grèce et l'Italie, puisque là c'est notre berceau. On vient de là-bas. Je l'ai fait à Athènes et à Olympie. Ensuite j'ai fait l'Espagne, et j'ai fait mon petit chemin ibérique, Portugal etc. et je voulais insister sur les régions. Je vais des fois dans les choses dangereuses là. Puisque quand j'ai fait ce tour là, je voulais faire les régions : c'est-à-dire je voulais faire la Catalogne française espagnol, je voulais faire l'Andalousie - mélange des cultures s'il en est - là j'ai vu les gens. Et le 8e je l'ai fait avec l'appui du Parlement européen, alors là vous voyez c'est amusant. En amont des élections européennes de 2019, juste un mois avant, pour aller rencontrer tous les partis politiques européens.
A partir de ce que vous avez pu observer ou déduire des dernières tentatives réalisées auprès des citoyens en Europe, qu'est-ce qu'il faudrait faire selon vous pour relancer la démocratie sur le continent ?
Alors c'est simple, il faut faire exactement le contraire. Il faut pas que l'émetteur soit les politiques, pas du tout. Il faut que l'émetteur devienne les citoyens. Comment faire ? Et bien il faut les éduquer. Qui peut éduquer les citoyens ? Les grands universitaires et les grands experts de tous les grands domaines qui aujourd'hui fondent l'Europe. Ces thèmes là vous les retrouvez dans la Conférence sur l’avenir de l'Europe : les valeurs et les droits, la démocratie, l'environnement et le climat, la santé, la culture, l'économie, le social, la transformation numérique. Seulement ces thèmes là il faut les approfondir. On peut pas parler aux gens sur C8 sur Arte, de sujets comme ça. C'est impossible, on ne peut pas éduquer les gens comme ça. Mais le temps qu'on perd étant dramatique, les gens qui ont le pouvoir ne se mettant pas à la tâche, il faut des porteurs de message. Et donc faut aller chercher les porteurs de messages. Donc il faut faire parler les meilleurs experts dans le domaine de la santé, il faut pas faire parler Thomas Pesquet sur l'espace ; il faut faire parler je sais pas quelle personne aujourd'hui détient sur le numérique la plus grande connaissance et sur l'intelligence artificielle en Europe. Mais déjà on a ici, on a déjà en gros tout ce qu'il faut à Strasbourg : nous avons aujourd'hui les entreprises, on a aujourd'hui 4 prix Nobel, on a un espace scientifique qui regroupe 15000 enseignants-chercheurs à l'université du Rhin, 11000 doctorants et 115000 étudiants qui s'occupent des sciences de la vie dans le périmètre Rhénan. Ces savoirs sont aujourd'hui accessibles à chaque citoyen. Donc il faut lui donner ces savoirs et c'est aux émetteurs qui ont de la connaissance de dire à chaque citoyen “voilà on sait ça là-dessus, ça là-dessu, ça là-dessus”. Pour construire un modèle européen humaniste de société, il faut que vous sachiez ça. Après en tant que citoyen vous êtes libre de vouloir l'Europe que vous souhaitez, vous êtes libre de voter ce que vous voulez comme sur l'Europe de demain. Vous êtes libre de la construire quand vous voulez, mais on va vous donner quelques petites pierres fondatrices pour que vous sachiez de quelle connaissance vous partez.
Entretien réalisé par Romain L'Hostis.