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Françoise Schaetzel - La ZFE à Strasbourg : une réponse efficace à la pollution de l'air ?

Françoise Schaetzel - La ZFE à Strasbourg : une réponse efficace à la pollution de l'air ?

Depuis le début de cette année 2023, Strasbourg met en oeuvre un projet majeur en ce qui concerne sa politique environnementale. C’est la ZFE, la Zone à Faible émission. Lancée officiellement il y a un an, mais mise en œuvre véritablement depuis le 1er janvier 2023, il s’agit d’une large zone où la circulation et le stationnement des véhicules les plus polluants sont interdits, de façon progressive. Pour Euradio Strasbourg, Romain L'Hostis reçoit Françoise Schaetzel, vice-présidente de l'Eurométropole de Strasbourg pour décrypter les premiers mois de lancement de la ZFE à Strasbourg.

Cette Zone à faible émissions (ZFE) mise en place par l'Eurométropole de Strasbourg vise à lutter contre la pollution de l’air. Est-ce que vous savez un petit peu comment se situe Strasbourg à ce niveau ? A quel point la pollution atmosphérique est un problème pour l’Eurométropole ?

Alors, c’est sûr Strasbourg est à l’heure actuelle, condamnée dans le cadre européen, parce qu’elle dépasse les valeurs réglementaires européennes sur un des polluants le NO2, le dioxyde d’azote. Ca c’est vraiment lié à un contentieux européen, même si je ne sais pas où cela en est effectivement au Parlement européen, le fait qu’il y ait eu des prises de position de l’OMS qui restreint de façon très importantes les seuils. Pour le dioxyde d’azote, la valeur réglementaire européenne et étatique, par une directive européenne, c’est 40 microgrammes par mètre cube. L’OMS dit 10 µg/m3. Soit quatre fois moins. Et, dans le rapport de la Commission européenne, eux proposent 20 µg/m3. Tout ça, à la limite, on parle de détails, mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’il va y avoir une pression de plus en plus importante sur la qualité de l’air et les contraintes en matière de pollution de l’air.

Donc ces règles vont être amenées à changer ?

Ca va être amené à changer, et je m’en félicite. L’Union européenne c’est un équilibrage entre l’impact sanitaire, les questions d’ordre économique, et l’acceptabilité sociale. Ce n’est pas uniquement de l’impact sanitaire. Pourquoi je dis que je m’en félicite ? Parce que moi je suis médecin, donc je m’en félicite, non pas pour emmerder les gens, mais parce que la pollution de l’air est un désastre sanitaire. C’est la deuxième cause de mortalité en France. Dans l’Eurométropole de Strasbourg, c’est plusieurs centaines de morts par an. Moi, j’ai du mal à l’accepter. Deuxième chose, il y a un cadre législatif français qui nous oblige à mettre en place une ZFE. Pour être plus précise, c’est la loi d’Orientation des mobilités de 2019, qui a été ensuite reprise par la loi Climat et résilience en 2021. Je vous dirais obligation législative, juridique, mais il faut dire que la pollution atmosphérique c’est un vrai désastre en matière de santé : sur l’Eurométropole, plusieurs centaines de morts par an. Avant de mourir, des maladies chroniques cardiovasculaires, pulmonaires, dégénérescence telle que la maladie d'Alzheimer. Ensuite, la pollution de l’air ça touche l’enfant encore quand il est dans le ventre de sa mère, les enfants qui naissent plus tôt sont encore plus fragiles, peuvent avoir ensuite des difficultés de développement. Et enfin, en matière de santé, j’insiste que ça augmente les inégalités entre les classes les plus favorisées et les gens les plus modestes : on sait maintenant qu’à niveau de pollution égale, les gens modestes sont plus fragiles par rapport au décès et aux maladies. 

Pourquoi ? Est-ce qu’on parle d’accès aux soins ?

Il y a plusieurs explications. Ils ont globalement un état de santé plus fragiles, ils ont plus de difficultés en matière de parcours de soin. Ils sont souvent plus exposés parce que les loyers sont moins chers à côté des routes à forte circulation. Voilà à peu près ce qui peut expliquer cette situation. Et je rajoute par rapport à ce différentiel : on a fait une enquête dans l’Eurométropole, une famille modeste sur deux n’a pas de voiture, parce qu’elle n’a pas d’argent pour acheter une voiture. Autrement dit, souvent, en matière de questions environnementales ou de santé ce sont ceux qui polluent le moins qui sont le plus victimes de problèmes environnementaux.

Une réalité aussi visible au niveau global comme on le voit aux différentes COP des Nations Unies : ce sont les pays les plus pauvres de la planète qui souffrent le plus des conséquences du réchauffement climatique.

Exactement. Maintenant, pourquoi une Zone à faibles émissions sur l’Eurométropole ? C’est vrai que nous avons voulu être ambitieux à cause de toutes ces raisons.

Cette ZFE repose sur un système de critères ou de vignettes “Crit-air”. Pouvez-vous nous en expliquer le fonctionnement ?

Oui, effectivement cela repose sur les vignettes Crit’air. Alors les vignettes Crit’air il y a un débat tout autour car ce n’est pas forcément cohérent avec ce qui se passe au niveau de l’Union européenne. Et puis, les vignettes reposent sur l’âge de la voiture, et pas sur le caractère polluant de la voiture. On pense par exemple aux SUV, qui peuvent être Crit’air 1, mais cependant polluants. Sinon, les crit’air qui vont de crit’air 5 à crit’air 0. Les crit’air 5 sont les voitures qui ont plus de 20 ans, quelques fois 25 ans. Les crit’air 0 sont les voitures qui n’utilisent pas d’énergies fossiles.

Il s’agit donc d’une classification censée identifier quelles sont les voitures les plus anciennes et donc, soit disant, les plus polluantes, par rapport à celles qui sont les plus propres ? Et donc l’interdiction appliquée par la ZFE revient à dire que tous les véhicules d’un certain crit’air sont interdits ?

Oui. A l’heure actuelle, on commence par les catégories les plus anciennes : les crit’air 5. Cela représente à peu près 3% du stock des voitures détenues par les professionnels ou individuels. Puis, tous les ans, on exclue un autre crit’air : crit’air 4 en 2024, etc. Jusqu’à l’exclusion des crit’air 2 en 2028. C’est-à-dire qu’on sort du diesel en 2028. 

Cette ZFE est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2023. Comment se sont passés ces premiers mois ? Avez-vous déjà eu des retours ?

Oui, nous avons des retours. Nous avons des retours négatifs et des retours positifs. J’ai par exemple eu un retour d’une femme enceinte récemment qui me disait “tenez le coup, tenez le coup, c’est très important”. Et puis, il y en a d’autres qui sont mécontents. Moi, je trouve que c’est globalement plutôt bien accepté. Je pense aussi qu’il y a une sensibilité particulière, presque historique, strasbourgeoise sur les questions de pollution de l’air. Pour vous donner un exemple, en 2014-2015 il y a 120 médecins strasbourgeois qui ont fait une pétition en direction des élus en disant “on en a marre de soigner des gens malades de la pollution de l’air”. Il y a une sensibilité spécifique ici. Jusqu’à présent, restons modestes et vigilants, parce que n’oublions pas que la ZFE c’est du changement, et que le changement ce n’est pas toujours évident, ni pour vous, ni pour moi. Là dessus, effectivement il faut accompagner pas à pas, et être à l’écoute.

Entretien réalisé par Romain L'Hostis.