Échos d'Europe

Dossier ingérence étrangère et désinformation

Photo de Markus Winkler - Pexels Dossier ingérence étrangère et désinformation
Photo de Markus Winkler - Pexels

Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Michel Derdevet, président de Confrontations Europe revient sur les exemples de désinformation en Europe qui se multiplient, ainsi que sur les techniques pour les produire et les propager dans le dossier exclusif intitulé : “Ingérence étrangère et désinformation : techniques de diffusion et moyens de lutte”, produit par le think tank et des étudiants du Master d’Etudes européennes et internationales de Sciences Po Strasbourg.

Comment distingue-t-on le concept de “désinformation” de celui d’”ingérence étrangère” ?

Les concepts d’ingérence étrangère et de désinformation sont souvent traitées ensemble, leur distinction est souvent floue.

L'ingérence étrangère se définit comme l’interférence cachée d’un acteur extérieur, cherchant à manipuler ou déstabiliser un autre pays, en particulier ses institutions démocratiques. Elle provient d’un Etat ou bien d’acteurs non étatiques.

La désinformation s’illustre comme une méthode phare de l’ingérence actuellement employée. Elle combine des anciens outils d’espionnage avec certains outils numériques modernes. La désinformation “moderne” s’inspire donc des vieilles techniques d’espionnage, utilisées par exemple pendant la Guerre froide, tout en les complétant et en les rendant encore plus ciblées et efficaces. Elle vise surtout à diffuser de fausses informations dans le but de manipuler l’opinion publique, de nuire.

Quelles sont les stratégies utilisées dans le discours de désinformation ?

La désinformation utilise plusieurs stratégies dans son discours, comme des narratifs contradictoires, qui sèment la confusion et le doute parmi le public ciblé. L’origine de ce discours est parfois claire, comme celle des campagnes russes dans l’opération “Portal Kombat”, qui a pour but de discréditer l’Ukraine et ses alliés. Cependant, le fondement de ce discours est parfois aussi très difficile à cerner, comme dans les faux profils Facebook “Odetta” en Allemagne, qui cherchaient à rependre des fausses informations de manière la plus discrète possible.

La désinformation se concentre surtout sur des moments clés de la société, comme les périodes électorales. Les électeurs se retrouvent dans une situation stressante, urgente, face à une charge émotionnelle importante et apparaissent ainsi plus vulnérables. En faisant usage de discours alarmistes ou même dramatiques, ils peuvent manipuler de nombreux citoyens.

Par quels types de contenu la désinformation est-elle diffusée ?

La désinformation se diffuse par des contenus écrits et visuels. Certaines stratégies, comme les deep fakes, qui utilisent l’intelligence artificielle ou les cheap fakes, qui usent des modifications d’images, ciblent une manipulation visuelle, qui permet de rendre le message très crédible. Ces contenus visuels, visionnés de façon brève, ne permettent donc pas d’analyse critique et sont ensuite facilement relayés.

Même si les contenus sont écrits, la désinformation s’appuie de notre manière de consommation de l’information et sur l’assimilation rapide. La désinformation écrite utilise surtout des récits qui comprennent beaucoup de détails, qui imitent certains formats du journalisme et manipulent ainsi le lecteur. Par le biais de la lecture numérique, le lecteur se concentre aussi plus sur l’image que sur le texte, ce qui permet de propager efficacement des contenus trompeurs.

Comment l'Union tente-t-elle de prévenir et de combattre toutes ces actions de désinformation ?

A la suite de l’agression russe en Ukraine en 2014, l’Union européenne a renforcé sa stratégie de lutte contre la désinformation. La cellule “East Strat Com” mise en place en 2015, après annexion de la Crimée par la Russie, ainsi que les task forces dédiés aux Balkans et au Moyen-Orient, ont été déployés pour combattre la désinformation dans les pays européens, mais aussi dans ses pays voisins. Elle a d’ailleurs créé le projet “EuvsDisinfo”, avec une cellule centrée sur la désinformation russe, qui a été récemment complétée par une section sur la désinformation chinoise.

De plus, la Commission européenne a publié un Code de bonnes pratiques sur la désinformation en 2022. Le Parlement européen lutte aussi contre ce phénomène avec sa commission “INGE 1”, qui analyse l’ingérence étrangère dans les processus démocratiques européens, dont la désinformation. Enfin, en 2024, une nouvelle commission spéciale a été créée pour évaluer la législation visant à protéger la démocratie contre l’ingérence étrangère. Celle-ci met l’accent sur les menaces liées à la désinformation.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.