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« L’union des droites » au Parlement européen : coagulations décisionnelles ou convergence politique ?

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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Cette semaine, Michel Derdevet, président de Confrontations Europe, présente un article signé par Yves Bertoncini, consultant en affaires européennes, conférencier et enseignant, intitulé « L’union des droites » au Parlement européen : coagulations décisionnelles ou convergence politique ? Dans cet article, Yves Bertoncini s’interroge sur les dynamiques récentes au sein du Parlement européen, où une coopération croissante entre les groupes de droite semble se dessiner. À travers une analyse des votes et des alliances stratégiques, il explore les implications de ces rapprochements pour l’équilibre institutionnel de l’UE et les politiques adoptées. L’article examine également si ces interactions reflètent une simple convergence opportuniste ou une évolution vers une vision politique commune des droites européennes, potentiellement déterminante pour l’avenir de l’Union. 



L’émergence de votes communs entre le PPE et l’extrême droite traduit-elle une véritable « union des droites » ?

Les votes communs entre le PPE et l’extrême droite (ECR, PFE, ESN) traduisent des convergences sur certains sujets, notamment l’immigration, l’environnement ou la régulation économique. Une partie du PPE, sous pression de la droite radicale, adopte des positions plus conservatrices pour ne pas perdre son électorat. Toutefois, ces rapprochements restent ponctuels et stratégiques plutôt qu’idéologiques. L’extrême droite est elle-même divisée : certains partis, comme Fratelli d’Italia (parti de Giorgia Meloni), cherchent à s’intégrer aux institutions européennes, tandis que d’autres, comme le RN ou l’AfD, restent plus contestataires. Des désaccords majeurs persistent sur l’État de droit, la politique étrangère (notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie) et l’approfondissement de l’intégration européenne. Ainsi, malgré ces votes communs, une véritable « union des droites » à l’échelle européenne reste difficile à concrétiser. On peut aussi voir ces alliances de circonstance sur des votes mineurs au Parlement européen comme une stratégie de Manfred Weber, chef de file du PPE, pour renforcer l’influence de son groupe, désormais dans une position de pivot, entre les groupes d’extrême-droite et la coalition traditionnelle avec Renew et les socio-démocrates.

Quels sont les obstacles institutionnels et idéologiques à une alliance durable entre le PPE et l’extrême droite ?

Les obstacles institutionnels et idéologiques à une alliance durable entre le PPE et l’extrême droite sont multiples et profonds. D'un côté, les institutions européennes reposent sur des mécanismes de consensus, notamment au sein de la Commission européenne, où l'unanimité ou la large majorité est souvent requise pour faire avancer les politiques. Cela limite les possibilités d'intégrer des positions trop radicales ou conservatrices, comme celles proposées par l'extrême droite. De plus, dans le Conseil européen et le Conseil de l'UE, la présence majoritaire de gouvernements modérés freine l'influence de partis souverainistes ou nationalistes.

Sur le plan électoral, les deux camps sont souvent en compétition. En France, par exemple, les Républicains (LR) du PPE sont en concurrence directe avec le Rassemblement National (RN), et en Allemagne, la CDU se trouve face à l'Alternative für Deutschland (AfD). Ces rivalités nationales rendent difficile une coopération harmonieuse au niveau européen.

Idéologiquement, le PPE prône l'économie de marché, l'intégration européenne et le maintien de l'ordre libéral, tandis que l'extrême droite défend une vision souverainiste et protectionniste de l'Europe. Ces divergences sont particulièrement marquées sur des questions cruciales telles que la politique étrangère. Tandis que le PPE soutient fermement l'Ukraine et l'Occident, certains partis d'extrême droite ont une vision plus favorable à la Russie, ce qui accentue les tensions. Toutefois, la tendance à une droitisation du PPE sur des enjeux comme l'immigration et certaines questions sociétales (droits des minorités, etc.) pourrait favoriser des alliances ponctuelles dans des dossiers spécifiques, mais pas une coalition durable à long terme.

Peut-on considérer “la défense du mode de vie européen” comme un socle idéologique pour une union des droites au Parlement européen ?

Le concept de « mode de vie européen » est régulièrement invoqué par les droites en Europe, mais avec des significations et des objectifs variés. Pour les partis conservateurs comme le PPE, il s’agit avant tout de défendre les valeurs démocratiques libérales, l’État de droit et une identité européenne ouverte mais ancrée dans l’histoire et les traditions. Cette vision inclut la protection des libertés fondamentales, de l’économie de marché et d’un modèle social européen.

À l’inverse, les partis d’extrême droite, tels qu’Identité et Démocratie (ID) ou les Conservateurs et Réformistes européens (ECR), mobilisent ce concept pour justifier des politiques plus dures en matière d’immigration, de souveraineté et de défense des « racines chrétiennes » de l’Europe. Pour eux, le « mode de vie » européen est menacé par le multiculturalisme, l’islam et la mondialisation, et doit être protégé par des mesures plus radicales, comme la fin de l’immigration extra-européenne ou le rejet des politiques de diversité et d’inclusion.

Malgré ce point commun rhétorique, des tensions existent : le PPE reste attaché aux institutions européennes et à la coopération internationale, tandis que l’extrême droite adopte une approche plus souverainiste et autoritaire, critiquant Bruxelles et prônant un retour aux États-nations. Cette divergence soulève une question majeure pour l’avenir de la droite européenne : peut-elle s’unir autour d’une défense commune du « mode de vie » européen, ou ces visions opposées sont-elles irréconciliables ?

Dès lors, quelles perspectives pour l’avenir des coalitions de droite au Parlement européen ?

Les perspectives pour l’avenir des coalitions de droite au Parlement européen sont incertaines, dépendant largement des évolutions internes des partis et des grandes questions politiques à venir. Si les groupes de droite veulent accroître leur influence, ils devront trouver des terrains d’entente sur des questions clés telles que la transition énergétique, la réforme du marché unique ou la gestion des frontières extérieures de l’Union. Ces dossiers sont particulièrement sensibles, car ils confrontent des visions radicalement différentes des défis européens. Il existe aujourd’hui trois groupes d’extrême-droite au Parlement européen, les Conservateurs et Réformistes (ECR, avec Fratelli d’Italia), les Patriotes pour l’Europe (PfE, RN) et le groupe “Europe des Nations Souveraines” (ESN, avec l’AFD allemande). Si ces partis arrivent à transcender leurs divisions sur ces sujets essentiels, ils pourraient jouer un rôle central dans la gouvernance de l’UE et dans l’établissement de nouvelles priorités politiques. L’avenir semble donc incertain : les coalitions actuelles entre le PPE et des groupes plus à droite pourraient soit aboutir à une véritable convergence politique, soit se résumer à des compromis tactiques limités et circonstanciels. Dans tous les cas, ce basculement vers la droite donne au PPE un rôle de pivot qui renforce son influence au sein du Parlement européen.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.