Chine - Europe : entre tensions et perspectives

Les relations sino-européennes à travers Taiwan

© Taiwan Presidential Office de Flickr (l'ancienne présidente, Tsai Ing-wen, assiste au dîner de la Journée de l'Europe 2017) Les relations sino-européennes à travers Taiwan
© Taiwan Presidential Office de Flickr (l'ancienne présidente, Tsai Ing-wen, assiste au dîner de la Journée de l'Europe 2017)

Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.`

Élisa, aujourd’hui, nous allons nous intéresser au rôle de l’Union européenne vis-à-vis de Taïwan, et à la manière dont cette position influence ses relations avec la Chine.

L'UE joue un rôle important dans le contexte tendu entre la Chine et Taïwan, en combinant prudence diplomatique, engagement économique et soutien aux valeurs démocratiques. Bien que limitée par l'absence de reconnaissance officielle de Taïwan et par des capacités militaires modestes dans la région, l'UE cherche à promouvoir la stabilité et à renforcer ses relations avec Taïwan sans provoquer une confrontation directe avec la Chine.

Vous dites absence de reconnaissance officielle de Taiwan, pourquoi ?

L’Union européenne adhère à la politique d’"une seule Chine", reconnaissant Pékin comme le seul représentant légitime de la Chine. Cette position, tout en affirmant le principe, laisse une marge d’ambiguïté stratégique qui permet à l’UE de renforcer ses liens avec Taïwan sans reconnaissance diplomatique formelle.

Elle soutient ainsi la participation de Taïwan à certaines organisations internationales, et développe des relations économiques et politiques non officielles fondées sur des valeurs démocratiques partagées.

Cette posture a suscité l'irritation de Pékin, qui considère toute interaction officielle avec Taïwan comme une atteinte à sa souveraineté.

Comment l’UE a renforcé ses liens économiques avec Taiwan ?

Taïwan est le 13ᵉ partenaire commercial de l’Union européenne, avec des échanges de biens atteignant 71,9 milliards d’euros en 2024. L’UE est également le principal investisseur étranger à Taïwan, ce qui témoigne de la solidité de leurs relations économiques.

La dépendance européenne aux semi-conducteurs taïwanais, indispensables à de nombreuses industries, renforce encore cette interdépendance. Dans ce contexte, Taïwan a appelé à la conclusion d’un accord de partenariat économique avec l’UE, afin de structurer et approfondir la coopération dans ce secteur stratégique.

En 2023, la Commission européenne a d’ailleurs lancé un dialogue structuré sur les semi-conducteurs avec Taïwan, visant à sécuriser l’approvisionnement en puces électroniques et à encourager les investissements taïwanais dans des centres de production européens. Ce dialogue s’inscrit dans une volonté commune de renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement dans un contexte géopolitique incertain.

Par ailleurs, l’UE cherche à affirmer davantage sa présence en matière de sécurité dans la région, bien que ses moyens restent limités.

Comment l’UE agit-elle pour renforcer sa présence sécuritaire dans la région ?

L’Union européenne dénonce régulièrement les exercices militaires chinois autour de Taïwan, qu’elle considère comme des provocations menaçant la stabilité régionale. Sans présence militaire significative dans la région, elle privilégie une approche diplomatique.

Adoptée en 2021, la stratégie indo-pacifique de l’UE met en avant l’importance économique et géopolitique de la région, ouvrant la voie à un engagement accru dans la sécurité maritime.

Quelques États membres, comme la France, ont envoyé des navires pour défendre la liberté de navigation, mais ces actions restent limitées. Le manque de coordination militaire et l’absence d’une politique de défense commune réduisent la capacité de l’UE à peser sur les enjeux sécuritaires en Indo-Pacifique.

Comment peut-on qualifier les relations sino-européennes, en prenant en considération cette situation ?

Depuis l'élection de Lai Ching-te à la présidence de Taïwan en mai 2024, les tensions avec la Chine se sont intensifiées. L'UE, tout en maintenant sa politique d'une seule Chine, a renforcé ses liens avec Taïwan, notamment par des dialogues commerciaux et des visites de parlementaires européens. Cette évolution reflète une volonté de soutenir les démocraties face aux pressions autoritaires, tout en préservant les intérêts économiques et la stabilité régionale.

Quelle est donc la stratégie européenne vis-à-vis de ces défis ?

Face à ces défis, l’UE cherche à adopter une stratégie plus autonome vis-à-vis de la Chine, en diversifiant ses partenariats économiques et en renforçant ses capacités industrielles internes. Cela passe notamment par des initiatives visant à réduire la dépendance aux chaînes d’approvisionnement chinoises et à renforcer la résilience économique européenne.

Aujourd’hui, les relations UE-Chine oscillent entre coopération économique prudente et tensions croissantes sur des enjeux géopolitiques et de valeurs. L’UE doit constamment jongler entre ses intérêts économiques, ses principes fondamentaux et ses préoccupations sécuritaires.

À moyen terme, l’UE sera confrontée à la nécessité de clarifier sa position face à l’intensification du bras de fer sino-américain autour de Taïwan. Son principal défi consistera à préserver son autonomie stratégique tout en défendant ses valeurs et ses intérêts économiques dans une région en pleine évolution.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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