Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Manikarnica TAMB

© Public Domain - Wikimedia Commons Manikarnica TAMB
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Avec sa chronique, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

En regardant le (formidable) documentaire "Décolonisations" de Karim Miské, Marc Ball et Pierre Singaravélou, narré par Réda Kateb, j'ai repensé au livre de l'historienne Michelle Perrot Les femmes ou les silences de l'Histoire. Et, en janvier 2020, j’ai commencé à écrire des histoires, une série consacrée à notre matrimoine oublié, “Les femmes ou les ‘oublis de l’Histoire’ à découvrir chaque semaine sur euradio et à lire sur mon blog teamcolibri.org.

A l’heure où, selon certains, « on ne peut plus rien dire », de nouvelles voix s’élèvent, portant une autre, d’autres histoires. Ces voix sont des murmures qui s’amplifient à mesure qu’on regarde les choses un peu autrement, qu’on cherche la présence de l’Autre, qui n’est pas homme, pas blanc, pas hétérosexuel, pas valide, qui n’a pas la parole mais qui murmure tout de même…

En mettant en circulation d'autres récits que ceux d'hommes blancs qui "font des trucs" et gagnent à la fin (le combat et/ou la nana) pour reprendre l’idée du formidable livre d’Alice Zeniter Je suis une fille sans histoire, je nous invite à faire un pas de côté, à explorer d’autres histoires pour mieux comprendre la nôtre et mieux en écrire la suite…

Vous connaissez Manikarnika Tambe ? Elle est juste l'héroïne n°1 de l'Inde moderne, celle qui inspira Gandhi et qui incarne la 1ère guerre d'indépendance indienne. Oui, la guerre de 1857 que les Anglais appellent "révolte des Sipaï" a été menée par une femme : Manikarnika Tambe, la Reine de Jhansi.

Je reprends ici le documentaire pour vous parler d’elle.

L’Inde dans laquelle naît Manikarnika en 1828 est riche, très riche. Ses soieries, ses cotonnades, ses épices s’exportent jusque dans la lointaine Europe. Un commerce lucratif entièrement entre les mains de la plus grande société privée du monde : la Compagnie britannique des Indes Orientales « East India Co. ». Une société privée qui, en jouant les souverains indiens les uns contre les autres, a réussi à acquérir d’immenses territoires et à se bâtir une puissante armée. Seul problème pour la compagnie : sur ses 250 000 soldats, 200 000 sont indiens. On les appelle les Sipaï et leur loyauté est loin d’être garantie.

Manikarnika Tambe est une princesse. Une princesse un peu spéciale : enfant, elle a appris non seulement à lire, à écrire, à réciter des poèmes, mais aussi à se battre et à monter à cheval. Comme si son père savait d’avance ce que le destin attendait d’elle. Elle a 25 ans quand meurt son mari, le Maharadja de Jhansi. Elle lui succède sur le trône mais son règne sera éphémère. Au bout de 4 mois, la Compagnie des Indes Orientales annexe son royaume, sans autre forme de procès.

La Compagnie ne cesse alors d’engloutir royaumes et seigneuries d’un bout à l’autre du sous-continent. Dans les campagnes, dans les villes, chez les aristocrates comme chez les paysans, la colère monte. Les Sipaï eux-mêmes commencent à s’agiter. En mai 1857, la révolte éclate. Régiment après régiment, les Sipaï se soulèvent. Quand les mutins arrivent à Jhansi, ils massacrent les soldats de la garnison britannique avec leurs familles. L’heure de Manikarnika a sonné. Elle remonte sur le trône, crée un bataillon de femmes combattantes, organise la résistance. Quand le général Hugh Rose arrive avec ses 5000 hommes pour reprendre Jhansi, les habitants refusent de se rendre.

Le 2 avril 1858, les canons du général percent les murailles de la forteresse. Les soldats britanniques ne font pas de quartier : 3000 hommes, femmes et enfants sont massacrés indistinctement. Le palais est pillé mais Manikarnika réussit à s’enfuir. A 100 kilomètres de là, elle rejoint les derniers princes indiens qui résistent encore à la Compagnie. A la tête de ces soldats, la Reine de Jhansi part une dernière fois à l’assaut : « Liberté ! ». Submergée par le nombre, elle meurt, les armes à la main, sans se douter qu’elle deviendrait l’héroïne numéro 1 de l’Inde moderne.

Inspirée par Manikarnika et ses compagnons, une nouvelle génération d’Indiens et d’Indiennes va reprendre le combat. Leurs méthodes seront inédites. Laissons-leur juste le temps de faire le deuil et de panser les plaies…