Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...
Vous connaissez Raymonde Guérif ? Elle fut une grande résistante nantaise.
Pour écrire son histoire, je suis allée discuter avec sa fille, Jacqueline Legrand-Guérif. Nous sommes toutes les 2 membres de l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la déportation, l’AFMD 44. Nous avons passé plusieurs heures ensemble. Elle m’a raconté sa mère, son père, sa vie. J’ai recoupé son témoignage intime avec les archives, sur le mémorial virtuel de la déportation en Loire-Inférieure (le nom de la Loire-Atlantique à l’époque). Le mémorial virtuel des victimes des déportations est disponible en ligne sur afmd44.org.
Raymonde Desgouttes naît le 23 juin 1904 dans le 4e arrondissement de Paris au sein d’une famille aisée. Elle perd sa mère en 1918 de la grippe espagnole et son père, deux ans plus tard, d’une crise cardiaque. Elle et sa soeur cadette de 12 ans sont envoyées en pension, son petit frère de 9 ans aussi, mais dans une autre, pour garçons.
Secrétaire dans une banque, elle vit dans un foyer de jeunes travailleuses tenu par des bonnes soeurs. En 1924, elle épouse François Guérif, comptable dans cette même banque et militant au Parti Communiste Français.
François est embauché comme représentant dans la zone Ouest par le Hollandais Philips qui cherche à vendre son innovation, la radio, en France. En 1929, le couple s’installe à Nantes, au 174 rue Paul Bellamy. Raymonde tient le magasin au rez-de-chaussée où il y a quelques postes radio en démonstration et un labo photos.
Six enfants vont naître jusqu’en 1940. Pierre mourra nourrisson. Cinq vivront : Paule, Suzanne, Raymond, Jacqueline et Jean-Pierre.
Dès la capitulation de la France en 1940, le couple accueille des prisonniers de guerre évadés et des dirigeants communistes dans une chambre à l’étage, à l’abri du regard des enfants.
En général, les clandestins restent 8 jours chez eux, avant de changer de « cache ».
Raymonde les nourrit sur les tickets de rationnement de la famille, leur fournit des vêtements civils, des cartes d’alimentation et fabrique des faux papiers.
François complète les rations limitées grâce à ses ruches et aux légumes qu’il cultive dans un champ au Nord de la ville. Il s’y rend à vélo. Parfois, sur le chemin de retour, dans sa carriole, il n’y a pas que des légumes, il y a des armes aussi.
Raymonde, alias Jane, est agente de liaison entre la direction régionale et l’inter-région. Elle est la seule femme d’un groupe de Résistants de la première heure. Avec son mari et René Terrière, elle crée le journal Libération et participe activement à la création du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France à Nantes.
Membre du Réseau Johnny Ker, elle fournit des renseignements à Londres. En 1942, elle rejoint les Forces Françaises Combattantes tout juste créées.
Sa fille Jacqueline me dit : « Ils ont toujours été d’accord. Deux fous. »
François est arrêté le 31 mars 1943 par le SPAC, le service de police anti-communiste, une branche de la police française créée pour faire la chasse aux communistes. Jacqueline vient d’avoir 5 ans.
Raymonde est arrêtée et « interrogée » dans les sous-sols de la Gestapo, place du Maréchal Foch aujourd’hui, puis enfermée à la prison Lafayette.
Elle a le visage tuméfié quand elle dit au revoir à son mari qu’elle arrive à croiser dans le bureau du directeur de la prison qui a arrangé une rencontre rapide. [A son retour de Buchenwald, François n’aura de cesse de retrouver le tortionnaire de Raymonde. Il sera fusillé en 1947.]
Finalement libérée, Raymonde retrouve ses 5 enfants et ses activités clandestines.
Elle est à nouveau arrêtée par le SPAC le 16 juillet 1943, emprisonnée à nouveau et,cette fois, déportée de Compiègne le 31 janvier 1944.
« Un jour de juillet, ils ont emmené ma mère et cette fois-ci ils l’ont gardée. »
Jacqueline et ses deux soeurs aînées sont accueillies chez la grand-mère paternelle,“une bretonne aux yeux bleus perçants et au coeur d’or”. Jean-Pierre, le benjamin, a 3 ans et est recueilli par la petite soeur du père et son mari invalide de guerre. Raymond, l’aîné, est pris par une cousine de Raymonde, boulangère à côté de Soisson, et envoyé au collège en internat.
Raymonde reste deux mois à Ravensbrück avant d’être transférée à Zwodau, un petit camp en Tchécoslovaquie. Avec Gisèle Giraudeau, une Nantaise elle aussi, et les autres détenues, elles doivent construire le camp d’abord. Puis, elles travaillent dans une usine Siemens où elles manient des produits toxiques, de l’acide, sans aucune protection. Leurs conditions de travail sont tellement dures qu’elles ont droit à un verre de lait par jour pour annihiler le poison.
Raymonde n’a jamais supporté le lait.
A mesure de l’avancée soviétique, les camps sont vidés. Lors de l’évacuation de Zwodau, en avril 1945, Raymonde se retrouve sur la route avec les détenues survivantes, direction Dachau.
Elle est assassinée par les gardiennes SS pendant cette « marche de la mort », aux environs de Gratilitz.
« Bien sûr, on attendait nos parents. Un jour mon père a débarqué. Ma mère n’est jamais revenue. »
En avril 1947, la famille Guérif reçoit l’acte de décès de Raymonde, la date est fixée au 27 avril 1945.
Jacqueline me raconte : « En famille, on a refait la route qu’elles [deux survivantes françaises dont Gisèle Giraudeau] ont pu nous décrire avec l’aide de femmes du pays qui connaissent les noms des villages et ont pu reconstituer la marche. Sur la route, il y a des monuments en mémoire du passage de ces femmes. On ne sait pas où elle a été enterrée. Les gens du village enterraient les morts qu’ils trouvaient mais on ne sait pas exactement où elle est. On sait à peu près. »
Raymonde Guérif est homologuée au grade de sous-lieutenant le 20 mai 1947, sa date de prise de rang est le 1 juillet 1943.
Par décret du 13 septembre 1954 à titre posthume, Raymonde Guérif est nommée dans l’Ordre national de la légion d’honneur au grade de chevalier, médaillée de la Croix de guerre avec palmes et Médaille de la Résistance.
La mention « Mort pour la France » lui est attribuée par le Ministère des anciens combattants et victimes de guerre en septembre 2007.
Sur demande de la famille, une rue au Nord de Nantes porte le nom de Raymonde Guérif depuis quelques mois. Elle n’a toujours pas été inaugurée officiellement.
En 2025, on commémore le 80e anniversaire de la fin des camps nazis. A cette occasion, les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD 44) organise les 25 et 26 janvier un événement à la Maison de quartier LE DIX à Chantenay : “1945-2025 : voix et visages de la déportation”.
Deux jours pour faire connaître l’histoire et la mémoire des déporté·es autour d'une programmation culturelle riche et variée : expositions, conférences, témoignages d'enfants de déporté·es (dont Jacqueline si elle peut se joindre à nous). Il y aura aussi une projection du film de Natacha Giler "Le retour des résistantes" (2023), un concert participatif "Chants de lutte et d'espoir", ainsi que deux représentations de la pièce de théâtre « Le 20e convoi », création originale tirée de faits réels, par la compagnie J’Te Ferais Dire. Un travail de mémoire indispensable pour lutter contre la renaissance de l’extrême droite. Rendez-vous les 25 et 26 janvier au DIX à Chantenay ! Vous pouvez retrouver le programme complet sur le compte Instagram @afmd44