L'éco de Marc Tempelman

L'annulation de la dette - L'éco de Marc Tempelman

L'annulation de la dette - L'éco de Marc Tempelman

Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance. 

La semaine dernière un grand nombre d’économistes, dont certains très connus, comme Thomas Piketty et Paul Magnette, ont co-signé un communiqué par lequel ils appellent tout simplement à l’annulation de la dette de la BCE.

C’est plutôt radical comme idée. À quoi cela servirait ?

L’annulation de la dette de la BCE fait partie de ces tabous économiques qui ont été brisés par la sévérité de la crise économique causé par la Covid. Selon les économistes signataires, elle permettrait d’atteindre trois objectifs :

  • Tout d’abord, de soulager la pression budgétaire sur les Etats de la zone euro, et leur permettre de faire face à la crise sanitaire et investir dans la transition écologique ;
  • Ensuite, de réduire le niveau d’endettement des Etats pour limiter le risque qu’ils ne puissent pas la rembourser dans le futur ;
  • Et enfin, d’éviter un retour à l’austérité économique, une fois la crise de la COVID derrière nous. C’est-à-dire éviter un retour vers des mesures de baisses de dépenses et/ou d’hausse des impôts pour pouvoir rembourser la montagne de dette, contractée ces derniers trimestres.

Alors parlons argent. De quel montant est-il question ?

Les banques centrales de la zone euro possèdent aujourd’hui à peu près 2 800 milliards d’euros de la dette publique des gouvernements, ce qui représente 30% environ du total de la dette publique.

Comme les Etats sont les actionnaires de leur banque centrale, quand un gouvernement rembourse sa dette, pour 30% de ce remboursement, c’est comme s’il se remboursait lui-même. C’est ce qui rend l’idée d’annuler cette partie de la dette, séduisante sur le papier.

Est-ce que l’annulation de cette dette est techniquement possible ? Ou est-ce que cette proposition est complètement illusoire ?

Juridiquement, ce serait sans doute très compliqué, mais pas totalement impossible. La BCE ne peut pas décider seule d’une annulation de la dette qu’elle détient. Il faudra pour cela que le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, qu’on appelle aussi le Traité de Lisbonne, soit modifié. Ce qui requiert une décision unanime du Conseil Européen. Autant dire que cela exigerait un effort politique herculéen.

Admettons qu’une solution technique puisse être trouvée. Toujours en théorie, est-ce un bon deal pour la France ?

Sur papier, oui, mais à court terme. Je m’explique. Dans le cas de la France, l’annulation de la dette détenue par les banques centrales européennes équivaudrait à l’annulation de 500 milliards d’euros de dette environ. En contrepartie de quoi, la Banque de France devra renoncer à environ 6 milliards d’euros de bénéfices. Car n’oublions pas qu’elle perçoit des intérêts sur la dette d’État. S’il n’y a plus de dette, il n’y aura plus d’intérêts perçus non plus.

Je sens qu’il y a un « mais »…

Il y en a plusieurs. Tout d’abord, le bénéfice financier pour les États ne serait pas aussi grand qu’on ne le pense. Il faut bien comprendre que si le volume de la dette des États a explosé, son coût a diminué. En effet, l’ensemble des États Européens – même la Grèce – emprunte de l’argent à des taux d’intérêts négatifs. Cela veut dire que les investisseurs sont prêts à perdre un peu d’argent pour investir dans de la dette souveraine. Donc l’avantage financier associé à l’annulation de cette dette n’est pas aussi important que cela, dans le contexte de taux d’intérêt actuel.

Pour donner juste un chiffre, en 1999 la charge des intérêts à payer par les pays de la zone euro représentait 4% du PIB. En 2019, ce n’était plus qu’un pourcent et demi.

D’accord, quels sont les autres arguments contre l’annulation de la dette ?

Il y a un risque que le plan ait des conséquences inattendues désastreuses. Par exemple, il n’est pas à exclure que l’annulation de la dette étatique détenue par les banques centrales fasse craindre aux autres investisseurs, qui détiennent les 70% restants, qu’ils seront les prochains sur la liste. Dit autrement, il est possible que l’annonce de cette annulation détruise la confiance des investisseurs en la dette de la France ou de l’Allemagne. Ce qui forcerait ces États à augmenter, potentiellement considérablement, les taux d’intérêts qu’ils offrent sur leur dette pour continuer à attirer ces investisseurs, devenus plus frileux. Au final, cela se traduirait donc par une forte hausse du coût de la dette.

Le mot de la fin ?

Séduisante sur le papier, il ne faut pas ignorer le nombre grandissant des économistes qui suggèrent d’annuler une partie de la dette gigantesque que les États Européens sont en train d’accumuler. Dans l’histoire du monde, l’obligation juridique et morale de toujours rembourser la totalité de ses dettes a été de nombreuses fois mise de côté par des nations. L’Union Soviétique a procédé à l’annulation partielle de sa dette en 1918. La République Fédérale Allemande et l’Argentine y ont eu recours en 1951 et en 2010 respectivement.

Mais dans le contexte de taux négatifs actuel, l’avantage financier de cette mesure radicale est très discutable. Alors que les risques qui y sont associés pour la réputation de l’Union Européenne et de la France sont majeurs. C’est sans doute pourquoi Christine Lagarde, présidente de la BCE s’oppose à cette idée.

Interview réalisée par Laurence Aubron

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Image : MichaelM