Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Le discours du Président de la République le 9 novembre dernier à Toulon a été particulièrement écouté, aussi bien dans l’Hexagone que par nos alliés en Europe. Quelles sont les annonces majeures de ce discours ?
Le discours du Président intervient dans le cadre de la publication de la Revue stratégique nationale, un document élaboré par l’exécutif et qui met en avant les grands enjeux et les grands axes stratégiques de la politique française en matière de défense. Mais c’est surtout dans le cadre des débats autour de la LPM, la prochaine loi de programmation militaire, qu’il faut replacer le discours d’Emmanuel Macron. Même si, depuis 2015, les budgets alloués à la Défense n’ont cessé d’être augmentés, après des décennies de coupes budgétaires, les représentants du monde de la défense demandent davantage de budget pour faire face aux nouveaux défis. Et étant donné la crise économique à laquelle on fait face, les arbitrages budgétaires vont être très difficiles. Mais si on doit retenir une chose, c’est le terme d’économie de guerre qui a été employé à plusieurs reprises par le Président.
Parler d’économie de guerre, cela renvoie à d’autres périodes de notre histoire, pas forcément très heureuses. On se souvient qu’il avait aussi parlé cet été de la fin de l’abondance. Est-ce que le Président de la République essaye de préparer les esprits à des temps plus durs et à de nouvelles guerres en Europe ?
Oui, et c’était d’ailleurs un des points du discours, c’est-à-dire le renforcement de la résilience de la Nation face à un contexte de plus en plus conflictuel et où certaines ressources viennent à manquer, ponctuellement ou de manière plus durable. Mais je pense qu’il ne faut pas surinterpréter l’emploi du terme économie de guerre. On n’est pas dans le contexte des deux premières guerres mondiales, ni même dans celui de la course à l’armement de la guerre froide. Mais il y a une prise de conscience que la France, tout comme le reste de l’Europe, doit se préparer à des conditions plus difficiles dans ses relations commerciales, diplomatiques, partenariales et autres, et que pour peser dans la balance, elle va devoir renforcer son modèle, réinvestir dans ses vecteurs de puissance. Et la défense en est l’un des plus importants. Donc concrètement, il s’agit de mobiliser davantage les industriels et les acteurs économiques de la défense, de simplifier certains process pour permettre de produire plus, plus vite, et moins cher. Il faut savoir que depuis des années, l’industrie de défense française fonctionnait à un rythme différent : elle produisait des petites quantités de matériel, donc pas des équipements ou des armements en masse, et elle avait délocalisé une bonne partie de ses productions d’armement.
Mais pourquoi ? Qu’est ce qui avait poussé la France à suivre cette trajectoire industrielle plus minimaliste ?
Ça correspond à une période bien précise. Jusqu’à la guerre du Golfe, la France était engagée dans des opérations nationales de faible intensité. Puis, avec la chute de l’URSS et la disparition d’un ennemi affiché, la stratégie de défense a tout naturellement changé. Les Français se sont davantage engagés dans des coalitions internationales. Puis à partir de 2001, c’est la lutte contre le terrorisme qui a prévalu. Donc des opérations extérieures ciblées qui ne nécessitaient pas une production d’armement de masse. En fait, à partir des années 90, l’armée française a évolué vers une véritable armée de métier. Elle s’est professionnalisée, elle est devenue très technique et en pointe dans de nombreux domaines, et elle s’est appuyée sur ses Alliés pour combler les trous capacitaires existants.
Mais aujourd’hui la donne a changé ?
Oui et ça bouscule totalement l’équilibre qu’on avait trouvé jusque-là. On voit revenir des puissances étatiques qui se réaffirment dans le champ de la conflictualité : la Russie bien sûr, mais aussi la Chine, la Turquie, l’Iran. Donc la possibilité d’une résurgence des conflits inter-étatiques de haute intensité devient de plus en plus forte. D’où le besoin de changer à nouveau de stratégie, de nous réadapter.
Et on en est capable ?
Oui mais uniquement si on fait preuve de lucidité et de pragmatisme. La capacité de dissuasion nucléaire de la France lui confère une très grande partie de sa force et de son pouvoir d’influence. C’est ce qui la protège des attaques extérieures. C’est donc un atout plus qu’essentiel, il est indispensable. Mais il faut savoir que, chaque année, l’adaptation et la modernisation de notre outil de dissuasion coûte extrêmement cher. À cela s’ajoute le coût de la fin de l’opération Barkhane, lui aussi très élevé. Et sans oublier l’inflation et le risque de récession qui vont porter un coup à la dépense publique. Donc on ne peut pas s’attendre à ce que les budgets de l’Armée augmentent suffisamment pour nous permettre à court ou moyen terme de reconstituer une armée complète, capable de faire face seule à une guerre de haute intensité.
Si on ne peut pas compter sur un budget suffisant, alors sur quoi peut-on encore miser ?
Sur notre influence. C’est un autre des points clés du discours du Président, même s’il ne l’a pas vraiment détaillé. L’influence de la France reste importante même si, là encore, il faut être lucide, elle n’est pas à son meilleur niveau. Mais il ne tient qu’à nous de la renforcer. Et ça doit commencer par un renforcement de notre influence auprès de nos partenaires, dans le cadre de l’OTAN et de l’UE. La France peut et doit prendre toute sa place dans ses dispositifs de coopération. Il y a eu une forme de défaut d’arrogance qui a empêché la France de s’investir vraiment dans une stratégie d’influence. D’autres ne s’en sont pas privés. Notamment les Allemands. Le Chancelier Olaf Scholz a d’ailleurs annoncé qu’il voulait que l’Allemagne devienne la première puissance militaire européenne de l’OTAN... La France dispose déjà d’une autonomie stratégique en matière de défense. Donc elle a une vraie carte à jouer dans le domaine de l’influence.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.