On en trouve en Chine, aux Etats-Unis mais aussi en Europe, en Norvège ou en Allemagne. Les bombes carbones, des mégagisements de combustibles fossiles sont présents partout à travers le monde.
A elles seules, elles compromettent les chances de l’humanité de parvenir à maintenir la hausse des températures à 1,5°C, l’objectif fixé par l’Accord de Paris en 2015.
Mais alors qui sont les responsables de ces bombes carbones ? Est-ce qu’il est trop tard pour sauver la planète ?
Pour répondre à ces questions aujourd’hui, Euradio reçoit Lou Welgryn et Oriane Wegner, cofondatrices du collectif Eclaircies, qui avec DataForGood, ont dévoilé début novembre la plateforme carbonbombs.org, qui recense ces bombes climatiques
Euradio : Pour commencer Lou Welgryn, pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces bombes carbones ?
L.W : Ce qu'on appelle une bombe carbone est un projet qui va émettre plus d'1 milliard de tonne de CO2 sur la totalité de sa durée de vie. Et ce que nous avons voulu faire avec carbonbombs.org, c'est identifier, grâce aux travaux de recherches qui ont déjà été faits, les 425 plus gros projets d'extraction fossile dans le monde. Tout l'objectif de la plateforme, c'est de faire le lien entre ces projets, les entreprises qui opèrent ces projets, et les banques qui financent ces entreprises. C'est important de parler aujourd'hui de ces bombes carbone puisque l'ensemble de ces 425 projets consomment à eux seuls plus du double de notre budget carbone restant pour espérer pouvoir rester sous cette barre des 1,5°C.
Euradio : Oriane Wegner, de quoi parle-t-on quand on parle de budget carbone ?
O.W : C'est une notion qui a été établie par les climatologues qui ont quantifié en valeur absolue combien de CO2 l'humanité peut encore émettre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Nous, nous sommes partis sur le budget carbone tel que le GIEC (NDLR : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) le met en avant dans son rapport 6 paru en 2023, c'est-à-dire entre 400 et 500 gigatonnes (NDLR : 1 gigatonne = 1 milliard de tonnes) de CO2, tandis que si on prend les bombes carbone actuellement en activité, elles émettent déjà presque 900 milliards de tonnes de CO2. Et si on ajoute à ça celles qui n'ont pas encore démarré, c'est 300 gigatonnes de plus. Donc c'est vraiment important d'avoir en tête que si on veut limiter le réchauffement à 1,5°C, il n'est pas possible de poursuivre l'extraction de ces 425 bombes carbone.
Euradio : Est-ce que cela signifie que le simple fait que ces bombes carbone existent réduit à néant tous les efforts qui sont faits par ailleurs pour lutter contre le réchauffement climatique ?
O.W : Arrêter ces projets ou en tout cas graduellement les fermer, ça doit être une priorité. Au sens large, c'est la sortie des énergies fossiles qui doit être une priorité si on veut agir efficacement.
Euradio : Alors aujourd'hui, est-ce qu'il est trop tard pour réduire voire annuler l'impact de ces bombes carbone ? Est-ce que c'est encore possible, si oui, comment ?
O.W : Il faut traiter différemment les projets déjà existants et ceux qui n'ont pas encore commencé. Et c'est sur ces derniers qu'il faut placer la priorité absolue. Et pour répondre à la question comment, ça se joue à plusieurs niveaux : des négociations internationales, des actions juridiques, des pressions sur les entreprises... Ce qui est sûr, c'est que la question des négociations internationales est absolument prioritaire, et surtout ce n'est pas anodin de discuter de ça alors que la COP 28 se tient à Dubaï depuis le 30 novembre.
L.W : Surtout quand on sait que le président de la COP 28 est également président d'une entreprise qui s'appelle Abu Dhabi National Oil Company, qui elle-même possède au moins trois bombes carbone. On voit à quel point c'est essentiel.
Euradio : Est-ce qu'à travers votre travail vous avez pu justement identifier qui sont les poseurs de ces bombes ?
O.W : Il y a deux types d'acteurs : les entreprises et les banques. Il y a beaucoup d'entreprises américaines ou chinoises, mais aussi des entreprises européennes voire françaises comme Total. Mais ça, c'est sûrement la partie qu'on connaît le mieux. Ce que nous voulions mettre en avant surtout, c'est le rôle des banques.
L.W : Aujourd'hui, une banque a deux moyens de participer à des projets d'exploitation fossile. Le premier, c'est en finançant directement ces projets, en fournissant des services financiers ou des prêts directement au projet. Et le second, c'est en finançant des entreprises qui elles-mêmes, vont opérer les projets. Ce qu'on constate aujourd'hui, c'est qu'il y a de plus en plus de banques qui s'engagent à dire qu'elles ne financent pas directement des projets d'extraction d'énergies fossiles, mais elles continuent à apporter leur soutien inconditionnel à des entreprises qui opèrent les bombes carbone. un dernier point également, même si on n'en parle pas sur la plateforme. Mais les états ont aussi leur rôle à jouer, à la fois en délivrant des licences d'exploitation, mais aussi en donnant des subventions aux entreprises ou aux projets pour leur permettre d'exister. Et de manière peut-être un peu moins évidente, à travers tous les traités internationaux comme par exemple la charte sur l'énergie qui permet d'une certaine manière à ces projets d'être protégés.
O.W : En plus des banques, des entreprises et des états, il y aussi un autre type d'acteur qui entre en compte : les assurances, qui jouent un rôle absolument clef dans le développement de ces projets et sans qui ces projets ne seraient la plupart du temps pas possibles.
Euradio : Est-ce qu'il est encore possible aujourd'hui de continuer l'exploitation des énergies fossiles si l'on veut rester sous les 1,5°C de réchauffement de l'Accord de Paris ?
L.W : Le GIEC dit que les infrastructures d'énergies fossiles existantes nous font déjà dépasser le budget carbone qui nous reste. Donc il s'agit déjà d'exclure tous les nouveaux projets, et ensuite, de mettre en place une sortie progressive de tous les sites d'exploitation qui sont déjà entamés pour aller vers le moins d'énergies fossiles possible. Le plan de transition a notamment été pensé par l'AIE, l'agence internationale de l'énergie, qui nous dit qu'il est possible d'en sortir, notamment en mettant l'accent sur les énergies renouvelables.