Chaque semaine, François Delay et Clémence Villefranche de La case des Pins nous présentent un livre de leur sélection. Cette semaine Buveurs de vents de Franck Bouysse, publié chez Albin Michel
Imaginez une vallée encaissée, cerclée de montagnes, coupée du reste du monde.
Une vallée où la vie rude tourne autour de la centrale hydroélectrique et du barrage, des tuyaux d'évacuation qui serpentent comme les pattes d'une immense araignée dans la montagne.
Imaginez un maire tout puissant qui a assis sa fortune et son pouvoir sur la misère sociale qui règne dans cette vallée.
Ce lieu sort tout droit de l'imagination de Franck Bouysse, dans son dernier roman Buveurs de vent, paru lors de cette rentrée littéraire aux éditions Albin Michel.
Les Buveurs de vent, ce sont quatre adolescents qui se frayent difficilement un chemin vers la vie adulte, une fratrie soudée que rien ne semble pouvoir détruire. Trois frères et une sœur qui s'accrochent dans le vide avec des cordes au-dessous du viaduc, en hurlant leur soif de liberté, dès qu'ils ont un instant d’oisiveté, une façon pour eux de sortir de ce quotidien parfois difficile.
Marc dévore des livres en cachette, planqué sous ses couvertures, car son père refuse que son fils se berce d'illusion dans la littérature. Pour lui les livres sont quelque chose de dangereux qui éloigne de la réalité.
Mathieu, l'homme de la nature par excellence, passe tout son temps libre à courir les bois.
Luc, handicapé mental, l'un des personnages les plus forts de ce roman, semble pourtant regarder le monde avec une perspicacité étonnante.
Et enfin, Mabel, la seule fille, la rebelle, la femme libre, le ciment de cette famille, la seule qui ose utiliser son corps comme elle l'entend et sa tête comme elle le décide en prenant ses propres décisions.
Lorsque Mabel quitte la maison, chassée par sa mère mais aussi par ses rêves de liberté, c'est tout l'équilibre de la famille qui vole en éclat, et, plus encore, tout l'équilibre de la vallée, puisqu'elle va oser dire non aux hommes qui veulent faire d'elle un objet.
Comme dans ses précédents romans, Bouysse nous montre qu'il est le roi des descriptions de cette nature luxuriante, sauvage, rude aussi, des êtres humains qui la composent, se l'approprient, sans jamais vraiment réussir à l'apprivoiser.
Car, dans les romans de Franck Bouysse, la nature a toujours raison, et sait, tôt ou tard, reprendre ce qu'on lui a volé...
Dans ce conte moderne savamment orchestré, comme toujours à la limite du roman noir, Franck Bouysse nous montre toute l'étendue de son talent : la plume, tout d'abord, à la fois rude et sensible ; et surtout la psychologie des personnages, qu'on pense pouvoir saisir au premier coup d'œil et qui se révèle bien plus complexe qu'il n'y parait.
Je vous engage donc vivement à vous jeter sur le dernier roman de Franck Bouysse, Buveurs de vent, mais aussi à relire tous ses romans précédents qui sont vraiment de petites merveilles de finesse et d'intensité.
Clémence Villefranche