Nous recevons Marie-Sixte Imbert, Senior Fellow de l’Institut Open Diplomacy, que nous pouvons écouter tous les mercredi sur nos ondes avec sa chronique à propos des “Relations franco-allemandes”. Elle revient cette fois sur les enjeux du second tour de l'élection présidentielle, vus par l'Allemagne. Et, comme en France, le premier tour du scrutin a moins intéressé nos voisins allemands.
Pour autant, avec une affiche similaire au second tour de 2017, l'Allemagne observe avec beaucoup d'attention la campagne du deuxième tour. Avec une Marine Le Pen à nouveau aux portes de l'Elysée, les grandes inquiétudes concernant la relation franco-allemande renaissent parmi les Parlementaires et la presse allemande.
Pour Marie-Sixte Imbert, la possible victoire de Marine Le Pen dimanche soir suscite en Allemagne "Une grande inquiétude pour le moteur franco-allemand, une inquiétude pour la construction européenne allemande. Ca représenterait un risque d'isolement rapide et majeur de la France par rapport à ses partenaires" en Europe.
Marine Le Pen, la semaine dernière en conférence de presse a clairement annoncé vouloir mettre fin à tous les projets de défense communs avec l’Allemagne. Est-ce aussi facile de désengager la France sur ces projets que de le dire ?
Elle a parlé du nouveau char de combat terrestre pour remplacer les chars Leclerc et de l'avion de combat du futur pour remplacer les Rafales à l'horizon 2040. Ce projet franco-allemand a été lancé en 2017 et l'Espagne l'a rejoint en 2019. En Allemagne le Bundestag est appelé à voter pour tout élément d'acquisition au-delà de 27 millions d'euros. Autrement dit, le Bundestag vote assez souvent sur les questions de programmes d'armement. On peut imaginer que face à un partenaire qui deviendrait frileux sinon hostile, les votes deviendraient plus compliqués.
Dans cette même conférence de presse , Marine Le Pen a salué les couples De Gaulle/Adenauer et Giscard d’Estaing/Helmut Schmitt mais pas question pour elle de marcher sur les traces du couple Merkel/Macron, "modèle d’aveuglement français à l’égard de Berlin”. C'est une façon de dire que l'Allemagne dirige tout en Europe ?
L'Allemagne a une position forte en Europe. C'est la première puissance économique et commerciale de l'Union. Oui l'Allemagne est sans doute meilleure depuis longtemps en matière de stratégie et de politique d'influence au sein des institutions européennes, auprès des autres Etats membres. Par exemple en Europe centrale et orientale, les liens avec l'Allemagne sont plus forts qu'avec la France. La culture européenne fondée sur le compromis, l'équilibre, la négociation est sans doute plus proche de la culture politique allemande que du modèle français.
En revanche dire que l'Allemagne domine tout, c'est oublier qu'il est de la responsabilité de chacun de se donner les moyens de l'influence. La politique c'est de la dynamique, des rapports de force pour porter et mettre en oeuvre des idées.
En 2017 Emmanuel Macron a commencé par parler à tous les pays européens, les petits comme les grands. Il a fait sortir la France de la procédure de déficit, ce qui a contribué à rétablir l'image et la crédibilité de la France, en plus de réformes économiques qui ont été menées. Si tout ce travail de rétablissement de l'image et du poids de la France n'avait pas été fait, je doute que nous aurions pu avoir en 2020, en quelques semaines, une proposition franco-allemande pour un plan de relance européen, et avoir ce plan de 750 milliards d'euros pour faire face à la pandémie. Avec pour la première fois des dettes communes, ce que l'Allemagne et d'autres pays européens abominaient depuis des années.
En 2017, Emmanuel Macron était l’inconnu de la présidentielle. Il avait sans doute beaucoup d'atouts aux yeux de nos voisins allemands, mais il a déçu aussi. Comment est-il perçu en 2022 ?
Les allemands gardent à la fois un très grand intérêt pour les réformes, les idées, pour l'engagement franco-allemand. Certains parlementaires allemands le décrivent comme un visionnaire pour l'Europe. Il parait comme un leader de premier plan en Europe, encore plus depuis le retrait d'Angela Merkel. Mais en même temps, les réformes ont été arrêtées par la crise des gilets jaunes et la pandémie.
Les allemands reprochent aussi à Emmanuel Macron une attitude parfois arrogante, avec des petites phrases qui peuvent crisper. Un point qui inquiète particulièrement vu d'Allemagne, c'est qu'il y avait en 2017 une promesse de réconciliation des français, de lutte contre les extrêmes et l'extrême droite. La déception est à la hauteur des attentes qu'Emmanuel Macron avait suscitées en 2017.
On voit aussi dans cette campagne de second tour que le front républicain n'est plus automatique. La presse allemande parle de catastrophe, l'inimaginable devient imaginable...
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet