Agathe Mahuet est journaliste, reporter chez France Info. Elle est revenue d’Ukraine en janvier dernier où elle a couvert le conflit pendant deux mois. Elle raconte à Brieuc le Fur, son travail de journaliste radio en Ukraine.
Agathe Mahuet, vous n’êtes pas une journaliste de guerre, alors pourquoi êtes-vous partie en Ukraine ?
En fait, on ne décide pas, c'est un peu l'actualité qui décide pour nous. Quand la guerre a commencé le 24 février 2022, moi j'étais reporter depuis quelques mois seulement, au service reportage de France Info. Je suis donc d'abord partie côté polonais, où les réfugiés ukrainiens venaient en nombre, évidemment.
Pendant ce temps-là, mes collègues un peu plus expérimentés sont partis en Ukraine. Et mon tour est venu quelques semaines plus tard. J’ai donc eu l'occasion d'y aller une première fois au printemps. Et puis j'y suis retourné deux mois en novembre et décembre dernier. C'était la suite logique de plusieurs séries de reportages dans ce pays.
Mais c'est vrai qu'on ne décide pas tout à fait de ce que l'actualité impose. C'est l'invasion russe de l'Ukraine qui a fait qu'on s'est retrouvé nous les reporters, envoyés à de nombreuses reprises, dans ce pays.
Même les journalistes qui n’étaient pas des reporters de guerre ?
Je ne suis pas sûre d'aimer le terme de reporter de guerre ou journaliste de guerre. Je ne suis pas certaine que ce soit tout à fait différent de ce qu'on fait le reste du temps. Bien sûr, les conditions ne sont pas les mêmes, mais quand j'étais en Ukraine et notamment en novembre et en décembre dernier, j'ai essayé de beaucoup raconter aussi des choses du quotidien. La vie qui continue malgré tout.
Il faut raconter bien sûr ce qui se passe sur le front, mais c'est très intéressant aussi de se concentrer sur tout ce qui se passe à l'arrière d'un pays en guerre. Il y a énormément d'histoires. C’est passionnant de voir la façon dont la société continue de fonctionner.
J'ai donc finalement fait mon métier, un peu comme je le fais en France. A part bien sûr des conditions un peu particulières puisqu'on est dans un pays en guerre. On travaillait énormément et de façon indispensable, avec des fixeurs. C'est un métier vraiment indispensable pour les journalistes sur les terrains étrangers, surtout pour des pays non francophones ou non anglophones, où on a besoin de quelqu'un en permanence pour être notre interprète C’est sa première mission.
Le fixeur nous aide aussi à caler des rendez-vous, à trouver des interlocuteurs, à repérer des sujets, à passer des coups de fil et à faire beaucoup de traduction. Le fixeur avec lequel j'ai travaillé s'appelle Yachar Vasilov. Il n'avait pas du tout cette carrière journalistique derrière lui, il est professeur de français en Ukraine, donc il parle extrêmement bien français.
Comment avez-vous traité l'info dans cette actualité de conflit ?
Je me suis beaucoup concentrée sur des récits, des témoignages, des reportages. Je peux prendre l'exemple d'une visite immobilière à Kiev faite à la lanterne, parce que la lumière était coupée dans l'appartement que visitait la personne intéressée pour se reloger.
C’est important de raconter la vie quotidienne, ces petites histoires qui me semblent pertinentes aussi, pour dire ce qu'est la réalité d'un pays en guerre. Ça peut toucher les gens de plein de façons possibles, parfois minimes.
Quand vous recueillez le témoignage d'une ukrainienne ou d'un ukrainien, comment faîtes-vous pour rester factuelle ? Pour ne pas mettre de sentimental dans la manière de traiter le sujet?
Personnellement, je ne trouve pas ça grave, si parfois on peut entendre un petit peu d'émotion dans un sujet. Le factuel c'est bien, c'est ce qu'il faut pour raconter une histoire sans sortir de notre cadre journalistique mais l'émotion c’est bien aussi de l’entendre. Par contre il ne s'agit pas de jouer avec, de la mettre en avant à tout prix au détriment du fond de l'histoire. L'équilibre me semble souvent assez simple à trouver.
Et puis de toute façon, on n'est pas des machines. Quand on est sur le terrain comme ça, on a le droit aussi de se laisser atteindre par des récits humains. J'ai le souvenir d'avoir été souvent touchée par des récits. Après c'est à nous de nous contrôler un peu, mais c'est aussi un moment d'humanité. Souvent, il y a des toutes petites choses, des mains sur l'épaule pour se dire "allez courage" !
Comment définissez-vous votre rôle ou votre responsabilité ?
Pour ce qui est du rôle du journaliste dans ces terrains là, je pense encore une fois qu'il est le même que partout ailleurs. On essaie simplement d'informer les gens, de leur raconter le mieux possible, le plus souvent possible, le plus directement possible, les histoires de la guerre. Avoir passé deux mois en Ukraine et avoir eu la chance de le faire pour Radio France, c'était vraiment une responsabilité. Me dire, je vais vraiment raconter à tous ceux qui auront la volonté d'allumer leur radio le matin, le midi ou le soir, le quotidien des Ukrainiens, qui subissent cette guerre depuis bientôt un an. J’essaye simplement de raconter des histoires, le plus sérieusement possible en donnant la parole à des gens. Paroles que je rapporte ensuite du mieux possible.
La radio, c’est l'instantanéité, petit à petit remplacée aujourd’hui par les réseaux sociaux, qui sont aussi des vecteurs d'histoire. Comment est-ce que la radio donne à entendre autre chose que les réseaux sociaux ou la télévision ?
J'ai l'impression que la radio est un média qui permet encore vraiment de faire entendre des histoires, de laisser aller un peu l'imaginaire d'un auditeur qui n'a que le son d'une voix. Les ambiances qui accompagnent un récit sur le terrain en Ukraine, ça peut être le son de la guerre au loin mais aussi le son de la ville, celui des générateurs à Kiev sur lesquels tout le monde est branché à cause des coupures de courant. Une ambiance qui nous emmène dans un autre univers sonore.
Je trouve que la radio a encore ce pouvoir-là de nous entraîner dans des histoires toutes en sons, et que c'est génial d'avoir cette chance. C'est un truc qui me plaît beaucoup dans les reportages radio, de ne jamais lésiner sur les ambiances, que je collecte en même temps que les récits. Parce qu'un témoignage c'est bien, mais quand on entend l'univers sonore autour, c'est la richesse de la radio !
Un entretien réalisé par Brieuc Le Fur