Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Sophie, vous me disiez que vous adorez le chocolat mais que cela vous pose un dilemme. Pourquoi ?
On peut même dire que je suis une « addict » au chocolat ! Alors c’est un dilemme parce que bien souvent les cacaoyers sont plantés à la place de forêts. D’ailleurs, de nombreux objets de notre quotidien comme le gel douche, les vêtements mais aussi nos aliments comme le café, la pâte à tartiner sont liés à la déforestation, parfois à l’accaparement de terre de peuples autochtones, voire à du travail forcé et à du travail des enfants. La déforestation, c’est la conversion des forêts à un autre usage comme l’agriculture et l’élevage. Elle est légale dans certaines conditions mais elle peut aussi être illégale. En 2023, on a perdu l’équivalent de 10 terrains de football par minute.
C’est énorme ! D’autant que les forêts jouent un rôle primordial.
Oui, elles sont effectivement essentielles. Il faut déjà avoir en tête qu’un tiers de la terre est couvert de forêts. Elles sont en première ligne pour lutter contre le changement climatique en absorbant le CO2. En outre, 1,6 milliards de personnes dépendent des ressources forestières pour leur subsistance. Les forêts permettent aussi de protéger les sols et de préserver la biodiversité. Mais malheureusement elles sont en grave danger. Des pays comme le Brésil ou la République démocratique du Congo voient leurs forêts se réduire chaque année.
Qu’est-ce qui se cache derrière cette déforestation ?
Plusieurs choses comme les besoins agricoles et alimentaires. Mais il ne faut pas négliger le rôle central joué par la corruption. Des entreprises vont verser des pots-de-vin pour raser des forêts et y mettre des plantations de palmiers à huile ou de l’élevage. Elles vont également corrompre des juges pour obtenir des décisions de justice indiquant que la déforestation était parfaitement légale. C’est ce qu’on voit au Brésil. Pour ne donner qu’un exemple, l’ONG britannique Earthsight a réussi à retracer le coton bio que l’on trouve dans des vêtements vendus chez H&M et Zara aux plantations de coton où ils ont été cultivés au Brésil par des entreprises qui ont déforesté en toute illégalité.
Selon l’ONG, ces entreprises ont également un passif de corruption. Earthsight a constaté des pratiques similaires avec la culture du soja au Brésil qui sert à nourrir des animaux en Europe qui se retrouvent sur les étalages de grands supermarchés européens.
On peut donc dire que le contenu de nos assiettes est le produit de la déforestation et de la corruption. Mais alors en tant que citoyens, en tant que consommateurs, que pouvons-nous faire ?
On peut poser des questions à notre magasin, lui demander d’où vient le chocolat, le café ou encore le coton et quelles mesures il a mis en place pour vérifier que ces produits ne viennent pas d’activités liées à la déforestation ni à la corruption. Demander des comptes aux supermarchés et aux marques est essentiel pour préserver les forêts et lutter contre la corruption.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- FAO, une nouvelle perspective – évaluation des ressources forestières mondiales (2020)
- World Resources Institute - Forest Pulse : les dernières informations sur les forêts du monde (2024)
- Earthsight, Fashion crimes (2024)
- Earthsight, Secret ingredient (2024)