Planète compromise ?

Le pillage des forêts albanaises au profit de l’Italie ?

Le pillage des forêts albanaises au profit de l’Italie ?

Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.

Aujourd’hui, Sophie Lemaître, vous nous emmenez en Albanie.

Oui, c’est un joli pays entre mer et montagne qui fait partie des Balkans. L’Albanie se situe au Nord de la Grèce et fait face à l’Italie avec la mer adriatique qui les sépare. C’est aussi une destination touristique encore méconnue qui gagne en popularité. Le pays a de nombreux atouts comme de belles forêts. Les forêts représentent d’ailleurs 29% de son territoire. Mais malheureusement elles sont ravagées.

Quelle est la cause de la destruction des forêts ?

Les incendies mais surtout l’exploitation illégale. Selon Global Forest Watch, entre 2001 et 2023, l’Albanie a perdu 7,2% de son couvert forestier. Cela a des effets catastrophiques avec l’érosion des sols, un appauvrissement de la biodiversité, une dégradation de la qualité de l’eau. Pour faire face à la déforestation et aux pratiques illégales, le pays a mis en place un moratoire de 10 ans en 2016. Ce moratoire interdit l’exploitation forestière ainsi que le commerce et l’exportation de produits du bois. Une amende de 36 000 euros est prévue pour les contrevenants ainsi qu’une peine de 10 ans d’emprisonnement. Mais malgré ce moratoire, des enquêtes menées par l’Osservatorio Balcani e Caucaso et Deutsche Welle ont révélé en avril que la destruction des forêts albanaises continue, dans l’ignorance et l’indifférence la plus totale.

Comment cela est-il possible ?

Le moratoire contient un certain nombre de failles qu’il est facile d’exploiter. Par exemple, la coupe du bois est autorisée pour répondre aux besoins en bois de chauffage de la population mais le moratoire n’a pas prévu de limites pour la quantité de bois qui peut être prélevée. Résultat ? L’exploitation forestière continue et dans des quantités bien plus élevées que ce qui est nécessaire à la consommation des albanais. En plus, l’Albanie n’a pas de système national pour tracer le bois de la coupe à la vente. Et ce sont les municipalités qui sont en charge de gérer les forêts alors qu’elles n’en ont pas les moyens et qu’elles ne sont pas en mesure de contrôler les activités qui ont lieu dans les forêts qu’elles gèrent. Sur 61 municipalités, la moitié n’a pas de plan d’aménagement ou de personnels pour effectuer les contrôles. Il n’y a pas non plus de codes douaniers spécifiques pour les produits interdits à l'exportation. Il est donc facile de faire de fausses déclarations pour exporter le bois albanais. Toutes ces failles permettent à des entreprises et des acteurs peu scrupuleux de ravager les forêts albanaises et de couper les essences les plus anciennes et les plus prestigieuses. Et puis, comment souvent la corruption facilite ces pratiques.

De quelle manière ?

On retrouve de la corruption aux points de contrôle, à la vente et à l’exportation. Les gardes forestiers vont se voir offrir un pot-de-vin pour fermer les yeux sur les coupes. Ce que l’enquête montre aussi c’est que du bois est massivement exporté vers l’Italie. L’Italie est d’ailleurs le premier pays vers lequel l’Albanie exporte du bois. Cela ne devrait pas être le cas puisque depuis 2016 l’exportation de bois albanais est interdite et la règlementation européenne exige que seul du bois d’origine légale puisse entrer sur le territoire européen. Donc les entreprises italiennes ne devraient pas acheter du bois albanais. Le manque de contrôle par les autorités italiennes contribue à ce commerce illégal et lorsqu’il y a des contrôles, les autorités se basent uniquement sur les documents papiers fournis qui sont facilement falsifiables.

Quel est l’avenir des forêts albanaises ?

En 2014, l’Albanie a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne et les négociations pour l’adhésion ont démarré en 2022. Si l’Albanie rejoint l’Union européenne, elle devra mettre en œuvre le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts qui va remplacer le Règlement sur le bois de l’Union européenne de 2013. Ce sera une première manière de protéger ses forêts. Il est aussi nécessaire d’alerter la population albanaise sur la destruction de ses forêts et de convaincre les décideurs politiques de mettre ce sujet sur la table, ce à quoi s’attellent les ONGs.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.

Sources :

- Global Forest Watch, Albanie

- Osservatorio Balcani e Caucaso transeuropa, Appetite for wood: disappearing forests of Albania, 2025

- Deutsche Welle, Italy's appetite for wood fuels Albanian forest crisis, 2025

- Gjon Rakipi, Tribune - Behind Albania’s Forest Crisis: Governance, Economy, and EU Accession, 2025