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Guerre commerciale UE-USA : les Européens flanchent

Photo de Markus Winkler - Pexels Guerre commerciale UE-USA : les Européens flanchent
Photo de Markus Winkler - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.

Bonjour Victor Wahrem. Aujourd’hui, vous allez nous parler, comme le mois dernier, de la guerre commerciale entre l’Union européenne et les Etats Unis.

Oui Laurence, un sujet qui n’a probablement pas fini de revenir dans Euronomics tant l’histoire promet d’être riche ! Depuis ma chronique du 7 mars dernier, de l’eau a effectivement coulé sous les ponts ...

Pouvez-vous s’il vous plait nous résumer ce qui s’est passé Victor Warhem ?

Bien sûr ! Nous nous étions quittés sur l’annonce par la Commission de mesures de rétorsion commerciale à l’égard des États Unis équivalentes en termes de volumes d’échange concernés à celles prises alors sur l’acier et l’aluminium par les États-Unis. 26 milliards d’euros étaient concernés, incluant les yachts, des produits agricoles, etc.

L’Union européenne avait tenu la dragée haute face aux Américains.

Néanmoins, patatra, le jour “de la libération” promis par Trump est arrivé le 2 avril dernier et l’Union européenne ... n’a pas vraiment cherché à se mesurer à Trump, et c’est un euphémisme ma chère Laurence.

Ah bon ? Pourtant tout le monde se félicite des mesures adoptées hier par les 27 en matière de rétorsion commerciale.

Oui l’opération de com’ est belle, mais la réalité est que les Européens n’ont fait qu’entériner les annonces de la Commission du mois de mars en matière de rétorsion commerciale après les droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Et encore, au final, la proportionnalité n’est même plus respectée car la Commission a fait notamment sortir le “bourbon” américain et certain produits agricoles en raison de la menace américaine d’une surtaxe de 200% sur les vins et spiritueux européens, à commencer par le cognac. Désormais seuls 21 milliards d’euros de produits américains sont concernés par les droits de douane européens supplémentaires.

C’est un premier pas.

Absolument mais soyons sérieux : cela représente environ 3% du volume de biens européens exportés vers les États Unis – plus de 600 milliards de dollars – taxés depuis le 5 avril à hauteur de 10% !

Trump par ailleurs a ajouté une surtaxe de 20% sur l’Union européenne le 9 avril qu’il a donc suspendu pour 90 jours le jour même.

L’Union européenne est donc très très loin du compte en matière de rétorsion commerciale à ce stade.

Très bien, je comprends mieux. Mais qu’a fait l’Union européenne depuis le 2 avril ?

Comme je le prédisais dans ma chronique du mois dernier, l’attitude européenne n’a pas consisté à s’opposer frontalement aux Américains, comme les Chinois n’ont pas manqué de le faire.

Au contraire, Ursula von der Leyen a proposé quelques jours plus tard un accord “zero for zero” destiné à créer une véritable zone de libre-échange industrielle transatlantique, sans proposer de mesures de rétorsion de quelque manière que ce soit, et ce alors que les exigences américaines dans la négociation n’ont fait que s’accentuer avec une demande de rachat pour 350 milliards de gaz naturel liquéfié par an, et même une suppression des barrières non tarifaires pour les entreprises américaines sur le sol européen !

Il n’y a eu aucune réaction au niveau des États-Membres ?

Si bien sûr, mais aucune n’a changé la donne.

Emmanuel Macron a tout de suite demandé aux entreprises investissant aux États-Unis de geler leurs projets, ce à quoi a répondu un patron du CAC40 qu’il n’en avait littéralement “rien à cirer” car les stratégies d’entreprise française dépassent manifestement ce conflit commercial.

On peut également noter la réaction allemande transparaissant dans l’accord de coalition publié hier. Comme prévu, la Grande Coalition va tout faire pour préserver la relation transatlantique et écrit explicitement dans le document qu’une négociation va avoir lieu prochainement, au détriment de l’Europe qui apparait vraiment comme secondaire dans le programme conservateur et social-démocrate. Le plan de relance allemand est donc bien parti pour s’envoler outre-Atlantique.

Trump a donc obtenu ce qu’il voulait finalement.

De la part de l’Europe, certainement. Je pense qu’une véritable Europe-puissance n’est pas près de voir le jour après un épisode pareil, même si des avancées majeures ont quand même eu lieu ces derniers mois, notamment sur l’Europe de la défense.

Néanmoins, en testant les limites du système économique international, Trump a également révélé les faiblesses structurelles des États-Unis.

Qu’entendez-vous par là, Victor Warhem ?

Les surtaxes suspendues le 9 avril ne l’ont pas été de gaité de cœur. C’est parce que les alliés ont commencé à vendre en masse les bons du Trésor américains, faisant grimper le taux à dix ans à des hauteurs littéralement insoutenables pour la dette américaine, que Trump a fait marche arrière.

La bataille commerciale avec la Chine y est pour quelque chose : en ne cédant rien à Trump, et même en restreignant ses exportations de terre rare à la Terre entière, la Chine nous a fait comprendre qui était désormais l’hegemon global. La perte de confiance en la dette américaine n’en est que le reflet.

La bataille pour la domination mondiale va se poursuivre entre les deux grandes puissances, au Panama pour commencer, mais les Etats-Unis sont en réalité les challengers désormais. Il pourrait y avoir un accord entre Trump et Xi pour éviter des droits de douane prohibitifs des deux côtés, mais Trump devra d’abord lâcher du lest avant que cela se produise, car les consommateurs américains ont en réalité bien plus à perdre que les producteurs chinois.

Quoi qu’il arrive, dans leur combat, les Américains pourraient au final se dire que l’Union européenne n’est peut-être pas un si mauvais allié que cela. Pour autant, la situation ukrainienne et l’imprévisibilité américaine devraient de nous faire réfléchir sur le bienfondé d’une alliance accrue avec des États-Unis en dérive dictatoriale. L’Europe, dans ce nouveau monde fragmenté et violent, a peut-être mieux à faire de voguer seule désormais.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.