Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank européen traitant des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem est le représentant en France.
Bonjour Victor Warhem ! Aujourd’hui, nous allons parler de 28 ème régime … Mais que signifie cette expression barbare ?
Bonjour Laurence ! Oui, effectivement, le 28ème régime est un concept pour l’heure assez étranger au commun des mortels. Il ne s’agit pas de proposer une nouvelle diète qui va révolutionner la perte de poids, il ne s’agit pas non plus de créer un nouvel État ex-nihilo dans l’Union, non il s’agit ici en réalité de mettre au point un statut légal pour les jeunes entreprises innovantes européennes afin de leur permettre de s’implanter plus aisément partout en Europe, et donc de croitre beaucoup plus rapidement. Si vous voulez, c’est comme si on donnait le pouvoir à ces entreprises de communiquer aussi en espéranto en Europe plutôt que simplement dans une langue nationale.
Vous faites bien de le préciser ! Mais d’où vient cette idée ?
Le 28ème régime est en réalité une idée assez ancienne qui a refait surface récemment. En 2004, l’Union européenne introduit le statut d’Entreprise Européenne pour les grandes entreprises avec une structure juridique unique pour l’UE et une gouvernance harmonisée, permettant de facilement transférer son siège social d’un pays à l’autre. Vers 2010-2011, il a été question de créer une sorte de « SARL » européenne - les Societas Privata Europaea - pour permettre aux PME de ne pas devoir se réenregistrer dans tous les pays européens dans lesquels elles souhaitaient opérer. Mais face à une opposition allemande, le projet de loi a été retiré en 2014. Ça n’est que dix ans plus tard, en janvier 2024, que l’idée en ces termes refait surface dans un rapport McKinsey sur la compétitivité européenne. La volonté de permettre à des petites – et désormais jeunes et innovantes – entreprises de bénéficier d’un cadre européen harmonisé a de nouveau le vent en poupe. On en retrouve ainsi la trace à la fois dans le rapport Letta d’avril 2024, qui propose de créer un droit des sociétés 100% européen, et dans le rapport Draghi de septembre 2024, qui mentionne explicitement le besoin de créer un statut européen pour les jeunes entreprises innovantes.
Une idée qui a fait son chemin donc ! Concrètement, que faudrait-il faire pour mettre en place un pareil régime ?
C’est là que les choses se compliquent. En effet, le rapport Draghi estime que la création d’un tel régime exigerait d’harmoniser au niveau européen des dispositions juridiques relatives au droit des sociétés, aux régimes d’insolvabilité, ainsi que quelques règles relatives au droit du travail et au droit fiscal. En réalité, ces droits relèvent aujourd’hui essentiellement du droit national dans la plupart des secteurs, ce qui signifie que c’est un chantier gigantesque, avec beaucoup d’embûches en chemin, qui attendrait les décideurs européens une fois le projet lancé. Dans le meilleur des cas, il semble que 3 à 5 ans soit la durée minimale pour parvenir à mettre au point un 28ème régime pour les jeunes entreprises innovantes vraiment opérationnel.
Comme souvent en Europe, c’est la difficulté à aligner
les États-Membres qui semble ici poser problème. Pour autant, que
peut-on attendre de positif d’un 28ème régime si jamais il venait à voir le jour ?
Ce 28ème régime aurait l’avantage d’apporter une grande simplicité aux entrepreneurs et investisseurs en Europe, tout en rééquilibrant l’attractivité des jeunes entreprises innovantes – ayant désormais plus facilement une ambition européenne et une plus grande capacité à saisir les opportunités partout en Europe – par rapport à celle des grandes entreprises, généralement moins innovantes. On peut donc s’attendre à voir beaucoup d’écosystèmes de startups fleurir si jamais les Européens parvenaient à mettre ce système en place, avec des répercussions positives sur l’emploi et la croissance.
Mieux, ce régime pourrait conduire à la mise en place d'un système inspiré des « Little Giants » chinois, ces jeunes PME innovantes bénéficiant de conditions d’accès aux marchés et de financements préférentielles grâce à la participation des grandes entreprises, des banques, des marchés financiers, des universités, de l’État, et même des épargnants. Bref, Un 28ème régime généralisé en Europe pourrait servir de fondation pour une politique industrielle soutenue partout sur le vieux continent, avec des résultats potentiellement exceptionnels en termes d’innovation, d’emploi et de croissance.
Très intéressant ! Mais j’imagine que ce nouveau régime pourrait également poser des problèmes, je me trompe ?
En effet, le 28ème régime serait – comme son nom l’indique – un régime qui viendrait bien se surajouter aux 27 autres, ce qui pourrait de manière contre-intuitive susciter en réalité davantage de complexité administrative pour les entreprises. Alors qu’un travail d’harmonisation aura été fait, on pourrait bel et bien se demander pourquoi les États maintiendraient leur régime national pour les jeunes entreprises innovantes, et c’est là où nous entrons sur les terres de la politique industrielle : il s’avère que chaque État européen a des dispositifs pour les jeunes entreprises innovantes dépendant de leurs propres objectifs de politique industrielle et de croissance – comme dans le secteur des cleantechs. Pour parvenir à un accord politique sur un 28ème régime, il faudrait en amont s’accorder sur les finalités de ce régime à un niveau européen.
Peut-être existe-t-il des alternatives plus accessibles à ce stade pour éviter de se perdre dans un débat européen sur le sujet ?
Il y a probablement d’autres voies à explorer qu’un 28ème régime généralisé pour les entreprises innovantes qui représentent un effort titanesque pour les décideurs européens. Par exemple, il serait possible de se concentrer plutôt sur la création de statuts européens pour jeunes entreprises innovantes dans certains secteurs, notamment les secteurs d’avenir comme les biotechnologies, la transition écologique, l’IA, la robotique, la healthtech, etc. Cela aurait le mérite de concentrer l’effort sur ce qui aura le plus de résultats. Cela pourrait se faire aux détriments de certains autres secteurs qui mériteraient également un 28ème régime ou régime unifié, mais une vigilance constante de la part des parties prenantes européennes devrait nous amener à pouvoir réévaluer régulièrement l’étendue d’un 28ème régime ou régime unifié.
Oui, effectivement, cela semble minimiser l’effort – déjà énorme – pour plus de résultats.
Oui absolument Laurence. Être partisan du moindre effort est toujours judicieux lorsqu’on parle de marché intérieur européen ! Politiquement, cela semble en tout cas plus facile, bien que les États n’aient pour l’heure pas manifesté d’envie particulière à l’égard de 28èmes régimes. Pire, alors que l’expression apparaissait dans les Guidelines de la Commission publiés le 18 juillet dernier, elle est totalement absente de la lettre de mission de Stéphane Séjourné, où il semble être à la place question de « passeport PME » dédié à la réduction du poids et des coûts administratifs. On est donc encore à peu près aussi loin de 28èmes régimes « sectoriels » que d’un 28ème régime général pour les jeunes entreprises innovantes en Europe.
Merci beaucoup Victor pour toutes ces explications sur ce sujet technique, mais passionnant ! Une excellente journée, et à la semaine prochaine.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.