Euronomics

Victoire de Donald Trump : la balle est dans le camp de l’Europe

Bruno Ngarukiye - Pexels Victoire de Donald Trump : la balle est dans le camp de l’Europe
Bruno Ngarukiye - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank européen traitant des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem, le monde vient de vivre un moment de bascule avec la – large – réélection de Donald Trump. Les conséquences sont encore difficiles à mesurer. Quelle est l’ambiance en Europe ?

Chère Laurence, je pense qu’on peut dire sans trop s’avancer que l’heure est grave. La réélection de Donald Trump signe bel et bien la fin de l’idée que le modèle européen, fondé sur le libre-échange, les dividendes de la paix, les droits de l’homme, et une protection sociale développée, est destiné à emmener le monde avec lui. Sur tous ces points, ce qui vient d’arriver envoie un message terrible : de nouveaux droits de douane – probablement extraordinaires – devraient voir le jour dès janvier 2025 avec à la clé une accentuation probablement sévère du décrochage industriel européen. En matière de défense, nous pouvons nous attendre, comme expliqué il y a quelques semaines, à un abandon américain en Ukraine. Par ailleurs, quand le leader « du monde libre » est un condamné pour 34 chefs d’accusation, violeur notoire, anti-migrants, et pratiquement ouvertement raciste, on ne peut espérer que la protection des droits de l’homme et de la dignité humaine en ressorte grandie. Moralement et politiquement, nous pouvons nous attendre à une hécatombe ces prochaines années. Enfin, avec des coupes attendues dans le système public de protection sociale américain – déjà bien léger –, Donald Trump va chercher à démontrer que la plus grande puissance mondiale peut très bien se passer d’une classe moyenne et pauvre protégée pour régner sur le reste du monde, alors que l’Europe a toujours fait le pari inverse.

Je vois ce que vous voulez dire. Le retour de Trump semble dire aux Européens qu’ils font fausse route pour s’assurer un futur à la hauteur de leurs ambitions. Est-ce bien vrai ?

Pour être honnête, je n’en ai aucune idée, pas plus que je saurais dire si les remèdes de Trump et de Musk seront bien capables d’emmener l’Amérique sur la voie d’un « nouvel âge d’or ». Mais alors que l’élection de Trump en 2016 semblait plutôt constituer une anomalie vis-à-vis du « sens de l’Histoire », sa réélection en 2024 témoigne en réalité d’une inflexion dans la vision du progrès portée par l’Europe – et des États Unis – depuis 70 ans. Autrement dit, je ne crois pas que la nouvelle Commission façonnée par Ursula von der Leyen réponde aux enjeux auxquels fait désormais face le continent européen. Il est encore temps de rectifier le tir.

Que doivent faire les Européens aujourd’hui, Victor Warhem ?

Le constat des rapports Draghi et Letta reste le bon. Dans un monde où les chocs d’offre – comme des droits de douane ou des pénuries de matières premières – se généralisent avec un impact à la hausse sur les prix ; dans un monde où il faut massivement investir pour espérer redresser la productivité des pays avancés sans compter sur l’aide de rivaux ; dans un monde où, pour ce faire, l’argent public est indispensable – le Japon a été un précurseur en la matière –, l’Union européenne est plus que jamais l’échelle pertinente pour simplement pouvoir rivaliser avec les États Unis et la Chine, en termes d’innovation, de défense, et d’approvisionnement énergétique. L’alternative n’est que le déchirement et la dépendance, et malheureusement, la tentation d’y céder en Europe est grande.

Qu’entendez-vous par là Victor Warhem ?

J’entends qu’à y regarder de plus près, de nombreux pays européens pourraient favoriser un retour du bilatéralisme avec les États-Unis plutôt que d’utiliser
 l’Europe comme plateforme pour construire l’avenir.

Tout d’abord, Trump va lui-même chercher à diviser les Européens s’il estime que c’est dans son intérêt : cela va avoir des conséquences évidemment en Ukraine, si jamais nous ne parvenons pas à pallier un désormais très possible abandon américain. Avec Viktor Orban comme facteur de trouble à la solde de Trump et de Poutine en Europe, il est malheureusement tout à fait possible que nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord.

Sur les questions économiques, ces quatre dernières années ont montré que les réflexes nationalistes étaient bien présents, en atteste la réaction dispersée en Europe à l’interruption rapide des approvisionnements en hydrocarbures russes après le début de la guerre en Ukraine. Quand l’Allemagne fait cavalier seul au Qatar pour négocier un accord gazier, on comprend que les challenges économiques pourraient continuer à faire l’objet de solutions nationales plutôt qu’européennes.

Beaucoup de pays européens vont donc chercher à tout faire pour maintenir de bonnes relations avec les États Unis de Donald Trump, et l’Europe pourrait ne continuer qu’à formuler des réponses tardives et trop peu volontaristes.

L’avenir du continent est donc bien incertain.

Il l’est. Désormais, la balle est dans notre camp. Nous avons une crise économique, militaire, et morale devant nous. Il faut négocier un saut fédéral, et le plus tôt sera le mieux. Sans cela, je ne préfère pas vous donner ma vision de l’avenir.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.