Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Warhem ! Aujourd’hui, vous allez poursuivre la réflexion débutée il y a deux semaines sur le développement de l’IA en France et en Europe …
En effet, Laurence, beaucoup de rencontres et discussions m’ont donné du grain à moudre ces dernières semaines, notamment car les pouvoirs publics ont commencé à promouvoir le sommet international organisé au Grand Palais les 10 et 11 février prochains, l’AI Action Summit dédié à la conception d’une IA responsable à l’échelle mondiale, faisant suite au sommet de Bletchey Park organisé en 2023 par les Britanniques.
L’AI Action Summit, un nom intéressant, et quels en seront précisément les objectifs Victor Warhem ?
L’IA Action Summit a plusieurs objectifs. Selon les dires de l’Ambassadeur de France aux Etats Unis il y a quelques jours, le sommet devrait chercher à mettre le monde sur la voie de l’IA responsable par la science, les standards et les solutions.
Science, standards, solutions, de vastes perspectives donc.
Oui Laurence, les ambitions sont très élevées ! Elles se destinent au fond à porter une voie véritablement européenne en matière d’IA.
S’agissant de la science par exemple, l’un des objectifs principaux sera de trouver un consensus international afin de mettre sur pied un panel scientifique indépendant dédié à l’étude des risques de l’intelligence artificielle, autrement dit, de créer une sorte de GIEC de l’IA. La présence de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement devraient permettre au Président Macron – sauf catastrophe politique d’ici là – d’avancer sur ce dossier.
Très bien, et s’agissant des standards attendus ?
S’agissant des standards, la diplomatie française espère avancer sur le dossier de la sécurité et de la responsabilité sociale et environnementale des modèles d’IA, notamment génératifs. Le gouvernement attend notamment un engagement des grandes entreprises du secteur à respecter un certain nombre de principes permettant d’instaurer la confiance entre l’IA et les utilisateurs, notamment via des audits réguliers de leurs modèles et de leurs données. Beaucoup de discussions porteront également sur la manière de réglementer efficacement la désinformation en ligne, intensifiée par l’IA.
Des sujets qui nous concernent tous, donc … Pouvez vous nous dire un mot sur le volet solutions ?
Absolument Laurence. S’agissant des solutions, le sommet sera notamment l’occasion de présenter une trentaine de défis « convergence IA » destinés à montrer que les acteurs du milieu peuvent se coordonner pour mener à bien des projets d’intérêt public. Ils concerneront l’utilisation de l’IA pour étendre le champ du réel avec de nouveaux matériaux, médicaments ou nouvelles énergies renouvelables ; la protection et la restauration nos biens communs (monuments historiques, forêts, qualité de l’air) ; l’amélioration des systèmes de détection afin d’atteindre des objectifs de politique publique, comme la mesure à l’aide de modèles d’IA par satellite de la séquestration du carbone dans les sols agricoles ; ou encore la fluidification les échanges, par la détection des contenus inauthentiques en ligne, les traductions simultanées, etc. Le sommet a également la volonté de lancer une initiative mondiale dont l’objectif est de permettre aux systèmes éducatifs et aux marchés du travail de faciliter la maitrise des nouveaux outils d’IA par un vaste public.
En vous écoutant, j’ai la sensation que les ambitions sont nobles. Qu’attendez vous précisément de ce sommet, Victor Warhem ?
Laurence, je crois que ce sommet sera très important pour démontrer que l’Europe et la France comptent jouer une place centrale dans le développement de l’IA.
Aujourd’hui, la France, compte près de 600 startups spécialisées dans l’IA – de taille relativement modeste hormis quelques exceptions. 3 milliards d’euro viennent les financer, avec un soutien fort de l’Etat puisque 2,5 milliards d’euro de France 2030 ont été réorientés vers l’IA depuis 2 ans. Enfin, le pays dispose également de 9 centres de recherche d’excellence mondiale en la matière.
A l’échelle européenne, le projet d’AI Factories dédié à mettre à disposition des entreprises des capacités de calcul hors-norme, prend corps, avec 1,5 milliards d’euros en voie d’investissement sur le continent.
La France et l’Europe veulent donc prouver qu’elles sont légitimes à proposer une régulation mondiale car leur écosystème IA est dynamique.
Et vont-elles y parvenir ?
Eh bien, toute la Terre aura les yeux tournés vers Paris, et des dizaines de pays seront représentées. Il y aura donc probablement des avancées.
Pour autant, la réalité de la compétition internationale perdurera, et on voit difficilement comment un gouvernement Trump permettrait de concrétiser une véritable gouvernance mondiale de l’IA, alors que son développement aux Etats Unis a été confiée à David Sacks, techno-solutionniste et libertarien notoire.
Les Etats Unis ont désormais l’ambition de développer un leadership total dans ce domaine. Les géants du numérique américains – qui contrôlent les chaines de valeur de l’IA et n’ont probablement pas l’intention de livrer tous leurs secrets ni de se conformer aux normes européennes – ne devraient donc pas être menacés.
Nous pourrions donc avoir une gouvernance de l’IA impliquant une bonne partie de l’Humanité, mais elle ne sera probablement pas mondiale. Sur cette base, la France, l’Europe et les autres pays volontaires pourraient développer une économie autour de l’IA véritablement bénéfique à l’humain. Nous n’avons donc pas dit notre dernier mot, Laurence !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.