Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Bonjour Victor Warhem, aujourd’hui il est question de l’immanquable accord de libre-échange UE-MERCOSUR, au cœur de l’actualité cette semaine …
Oui Laurence, l’accord commercial négocié depuis 1999, et faisant l’objet depuis 2019 d’un pré-accord entre la Commission européenne et le MERCOSUR, association régionale regroupant cinq pays d’Amérique du Sud - y compris les géants brésilien et argentin -, se retrouve de nouveau sur le devant de la scène, après qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir s’opposer à sa signature au sein du Conseil et constituer à cet effet une coalition européenne contre cette version du texte.
Cela peut être perçu comme assez étonnant de la part d’un président libéral et très pro-européen comme Macron, non ?
Il s’avère en réalité que Macron est surtout tenu par son opinion publique – à trois-quarts opposée à l’accord - et par la position historique de la France sur le sujet qui en découle. Il faut néanmoins souligner que Macron ne cherche pas à l’éviter à tout prix, il cherche uniquement à en améliorer la teneur afin de protéger au mieux l’agriculture française.
Qu’entendez-vous par « améliorer la teneur » du texte ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord revenir sur l’intérêt initial perçu de l’accord. Il a en effet dans un premier temps été nommé « vaches argentines contre voitures allemandes », dans la mesure où il aurait permis dans sa première version d’échanger moins cher des biens manufacturés européens à haute valeur ajoutée, taxés aujourd’hui à plus de 30% dans le MERCOSUR, contre des produits agricoles sud-américains, dont les normes sanitaires et réglementaires posent question. Ce dernier point explique entre autres la mobilisation régulière des agriculteurs français – et parfois d’autres pays – contre l’accord.
Vous dites donc que la France n’a rien à gagner de l’accord en l’état ?
La réalité est plus complexe, ma chère Laurence. L’accord est effectivement dommageable pour certaines activités agricoles européennes, comme l’élevage qui va devoir subir une concurrence accrue. Par exemple, 160 000 tonnes de viandes sud-américaines vont voir leurs droits de douane réduits ou tout simplement supprimés, ce qui pourrait faire exploser le volume d’importation pour ce type de produit de près de 50% - car nous sommes aujourd’hui à 351 000 tonnes annuelles. Le secteur du sucre serait également largement touché.
Néanmoins, la France a aussi à gagner. Par exemple, acheter le soja brésilien moins cher permettra aux éleveurs français, soit de baisser leurs prix, soit d’augmenter leur marge. Par ailleurs, la France et l’UE bénéficieront d’un accès privilégié aux terres rares sud-américaines, indispensables à la transition écologique et numérique. Enfin, la France compte aussi un certain nombre d’industries qui pourront profiter de l’accord : chimie, aéronautique, mais également la production de vin, dont les droits de douane vont passer d’environ 25% à 0%.
Très bien mais que faut-il améliorer dans ce contexte, donc ?
Pour mieux protéger les agriculteurs français, le gouvernement plaide depuis 2019 pour l’introduction de « clauses miroirs » obligeant les sud-américains à se mettre à niveau sanitairement et réglementairement parlant. Compte tenu des volumes impliqués dans l’accord avec le MERCOSUR – les échanges valent aujourd’hui entre 40 et 45 milliards d’euros annuels –, les enjeux de contrôle sont très importants. Les garanties qui doivent en découler ont intérêt à être très solides. Pour l’heure certains Européens sont effrayés par leur coût, voire leur faisabilité. On peut imaginer les Sud-américains assister les Européens dans ce domaine.
Je vois. Quel avenir donnez-vous au final à cet accord, Victor Wahrem ?
Il semblerait que la France ait la capacité une nouvelle fois de bloquer l’accord « en l’état » au Conseil, compte tenu de l’opposition récemment annoncée de l’Italie, mais également d’un soutien qui devrait se manifester de la part d’autres puissances agricoles comme la Pologne et les Pays-Bas. Une minorité de blocage, regroupant au moins 4 pays et 35% de la population européenne, est bien à porter de main.
Néanmoins, les élections allemandes s’invitent dans ce débat. Il semblerait que, compte tenu du déclin grandissant de l’industrie outre-Rhin, le gouvernement allemand souhaite tout faire pour que l’accord soit adopté avant le scrutin de février 2025. On peut donc s’attendre à de nouvelles tensions franco-allemandes sur le sujet, d’autant plus que le gouvernement français estime de son côté que si l’accord passe, il peut y laisser sa peau. Décidément, le modèle économique qui a fait le succès de l’Europe est bel et bien grippé. Espérons que notre sens du multilatéralisme nous permettra de l’adapter.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.