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Élections américaines : les chocs politico-économiques qui attendent l’Europe

Photo de Karolina Grabowska - Pexels Élections américaines : les chocs politico-économiques qui attendent l’Europe
Photo de Karolina Grabowska - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank européen traitant des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem, aujourd’hui, nous allons évidemment parler des élections américaines de mardi prochain et de leur impact potentiel en Europe.

Oui Laurence, ces élections pourraient constituer un vrai moment charnière pour l’Europe. Au-delà des questions de défense évoquées la semaine dernière, le résultat des élections américaines – serrées dans les sondages comme jamais – aura aussi un impact évident sur les relations économiques entre les deux blocs, mais peut-être également sur les contextes politiques nationaux européens.

Qu’en sera-t-il selon vous dans le domaine économique pour commencer ?

Dans l’éventualité d’une Présidence Trump, lui qui a récemment soumis l’idée farfelue de supprimer tout type d’impôts sur le revenu pour les remplacer par des droits de douane, il est sûr et certain que le modèle de croissance européen classique, fondé sur les avantages comparatifs et le libre-échange, serait encore plus ébranlé qu’il ne l’est déjà.

En admettant qu’une nouvelle administration Trump impose des droits de douane de 10 à 20% sur des pans entiers de la production industrielle intermédiaire importée d’Europe, comme les machines-outils par exemple, les industries européennes verraient leur compétitivité, déjà bien amoindrie par l’explosion des prix de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine, se détériorer davantage.

Si nous passons à un niveau supérieur – comme Trump l’envisage pour la Chine avec des droits de douane à 60% -, ceci pourrait même provoquer une fuite des entreprises exagérément taxées vers des pays qui permettront de bénéficier de l’indispensable dynamisme du marché intérieur américain pour croitre à moindre frais, comme le Mexique par exemple.

On peut donc s’attendre à un déclin industriel encore plus poussé, au moment où on parle plus que jamais de réindustrialisation !

Oui Laurence, Trump pourrait mettre à mal beaucoup de politiques de soutien à l’industrie développées ces dernières années en un claquement de doigt.

Mais Harris pourrait également réserver des surprises. Si on ne s’attend pas à une hausse des droits de douane en cas de victoire démocrate à la présidence, il n’est pas exclu qu’une nouvelle série d’instruments de politique industrielle attractive pour les entreprises européennes, une sorte d’Inflation Reduction Act 2, viennent également impacter négativement l’activité industrielle en Europe.

Cependant, une victoire démocrate aurait le mérite très probablement de poursuivre les travaux du Trade and Technology Council, institution créée en 2021 et notamment destinée à faire converger les normes européennes et américaines dans de nombreux domaines stratégiques comme les semiconducteurs, le quantique, l’intelligence artificielle, etc. Un effort crucial à long-terme pour contrebalancer le leadership technologique progressant à la vitesse de l’éclair de la Chine.

Trump, au contraire, serait susceptible de mettre en veilleuse ce genre de projets dans un esprit « America First » et « Art of the Deal », où la recherche de compromis par le bilatéralisme reprendrait le dessus sur la coopération Etats-Unis-UE.

Des différences sensibles donc, entre Harris et Trump. Qu’en est-il de l’impact des élections sur les contextes politiques nationaux en Europe ?

Eh bien, c’est simple : en cas de victoire de Trump, lui qui adule Viktor Orban, les mouvements populistes de droite européens gagneraient un allié de poids, notamment parce qu’il n’apporterait aucun soutien au combat contre la désinformation qui leur bénéficie pleinement en ligne, caractérisée notamment par de constantes campagnes d’« astroturfing » russes, ces faux mouvements populaires alimentés par des « fermes de trolls », destinés à influencer les opinions occidentales.

À l’inverse, une victoire de Harris permettrait de ne pas laisser l’Europe seule dans cette bataille informationnelle, aujourd’hui presque aussi importante pour la démocratie que la vraie bataille, celle qui se déroule en Ukraine.

En cas de victoire de Trump, s’il n’y a aucune réaction européenne, l’avenir pourrait donc être au repli nationaliste, tant au niveau économique que politique … Que doivent faire les Européens ?

 Une élection de Trump mardi 5 novembre prochain pourrait constituer en réalité l’électrochoc, le choc économique et politique symétrique, qui poussera les Européens à réfléchir ensemble à de vraies solutions communes, même s’il ne faut pas le souhaiter. Il n’y a que dans les crises que nous avançons et l’élection de Trump en serait forcément une, si bien que les Européens réfléchissent déjà à la stratégie de guerre commerciale à mener s’il est élu. Mais cela ne sera pas suffisant. J’espère que nous ressortirons dans cette éventualité les rapports Draghi et Letta que la Commission semble presque déjà avoir rangés dans ses cartons.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.