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Budget français 2025 : plaire à l'Europe, mais à quel prix ?

Photo de Jakub Zerdzicki - Pexels Budget français 2025 : plaire à l'Europe, mais à quel prix ?
Photo de Jakub Zerdzicki - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank européen traitant des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem ! Aujourd’hui, nous revenons sur un sujet qui nous concerne nous les Français, mais en réalité aussi les Européens : le budget de la France pour 2025.

Oui Laurence, le débat sur le budget 2025 a officiellement démarré jeudi 10 octobre avec le dépôt du projet de loi de finances devant l’Assemblée et l’exposé de ses grandes lignes par les ministres de l’économie et des comptes publics.

Que peut-on donc en attendre ?

Ce budget est une révolution sur le papier : pour la première fois de son histoire récente, il est proposé par le gouvernement français de faire un effort de 41,3 milliards d’euro sur la dépense, tout en augmentant les impôts de 19,3 milliards d’euro. Ainsi, alors qu’elle a laissé se creuser un trou de 100 milliards de déficit supplémentaire en 2024 par rapport aux estimations initiales, la France veut réaliser un effort absolument inédit de 60,6 milliards d’euro en 2025, pour réduire le déficit public à 5%, ce qui était initialement convenu avec Bruxelles, tout en demandant un report à 2029 du retour au déficit sous les 3%, en lieu et place de 2027. Si rien n’était fait, le déficit atteindrait l’an prochain près de 7% selon le gouvernement, et ce alors que tous les grands pays de la zone euro sont passés ou sont en passe de passer sous la barre des 3% de déficit public dès 2025.

Très bien, mais en quoi ces évolutions importent pour les Européens ?

Parce que nous partageons pour la plupart la même monnaie, l’euro, et que laisser filer les déficits en France reviendraient à faire peser un risque sur la viabilité de la zone euro. En effet, alors que le Nord de la zone est largement solvable avec des taux d’endettement public souvent proches des 60% fixés dans le Pacte de Stabilité et de Croissance et donc une sobriété budgétaire ancrée culturellement, le Sud – qui inclut désormais la France - a frôlé l’insolvabilité avec la crise des dettes souveraines au début de la décennie 2010 qui s’est terminé avec le « quoi qu’il en coûte » monétaire de Mario Draghi. Depuis, la Banque Centrale s’est notamment dotée d’un instrument – le Transmission Protection Instrument ou TPI – pour racheter par moment de la dette souveraine européenne sur les marchés secondaires afin d’en stabiliser les taux – l’Italie, notamment, en a largement profité ces dernières années.

Ici, c’est donc la France qui, si jamais ses taux s’envolaient en raison d’un manque de maitrise des finances publiques et d’un contexte d’incertitude politique durable, pousserait la BCE à intervenir, mais peut-être cette fois-ci à des niveaux absolument inédits, qui à leur tour pourraient inciter les pays solvables du Nord à estimer que le coût à payer pour rester dans la zone – notamment en termes d’inflation – est trop élevé, et donc, à porter un coup, peut-être fatal, à l’euro lui-même.

Effectivement, on voit mieux pourquoi les Européens regardent avec attention ce que propose ce nouveau gouvernement. Que voyez vous advenir dans votre boule de cristal, Victor Warhem ?

Je crois que la France ferait mieux de prendre garde aux signaux envoyés à son endroit, à commencer par ceux de Christian Lindner, le ministre des finances allemand, qui n’a pas manqué de rappeler après la présentation du budget français que reporter le retour sous les 3% de déficit à 2029 au lieu de 2027 - exception faite uniquement pour la France – ne constituait pas une bonne nouvelle dans la mesure où les marchés attendent du sérieux budgétaire, seul garant de la stabilité des taux sur la dette, et donc à long-terme de la viabilité de la zone euro.

Le douloureux exercice 2025 prévu semble donc bel et bien nécessaire. Néanmoins, l’ajustement aura un coût : on peut en effet attendre moins d’activité en France, et ce alors que l’Allemagne va connaitre en 2024 une deuxième année de récession. Le projet de loi parle de 1,1 point de croissance en 2025, mais il convient d’attendre les estimations d’instituts indépendants s’agissant de la nouvelle donne budgétaire pour en avoir une véritable idée. Il y a fort à parier que la croissance soit au final revue à la baisse, avec un impact négatif sur les finances publiques. Une stagnation assez classique pourrait alors advenir, avec une croissance en berne et une dette stabilisée à un niveau élevé.

Donc les Européens attendent qu’on rétablisse nos finances publiques pour garantir la survie de la zone euro, mais au prix de la croissance … et de la santé des finances publiques ?

Oui Laurence, c’est le régime que l’on s’est imposé lorsqu’on a adopté le Pacte de Stabilité et de Croissance en 1997. Stabilité vient avant croissance ! Cela induit que notre modèle de croissance ne peut se faire sans garantie de stabilité monétaire et budgétaire, ce qui favorise en réalité un modèle : le modèle fondé sur l’enrichissement par l’export, très répandu dans les pays du Nord, qui impacte peu les finances publiques.

Mais ce modèle connait également une grande remise en question, notamment avec la remontée des barrières douanières partout sur Terre, à commencer par les États Unis et la Chine. Ces derniers conjuguent d’ailleurs ce protectionnisme à des niveaux de déficits à long-terme extrêmement élevés pour une période de paix (plus de 5% pour les deux géants en 2024), ce qui leur permet de développer à vitesse grand V leur économie de demain, contrairement aux Européens. Le gouvernement français, conscient de ce changement de modèle, incite sciemment à maintenir la dépense sur une trajectoire dynamique et repousse donc l’objectif de retour sous les 3% de déficit à 2029 pour cette raison, notamment. Par ailleurs, si Trump venait à gagner la prochaine élection présidentielle américaine et qu’il mettait en œuvre la politique ultra-protectionniste qu’il a promise, un débat s’ouvrirait probablement rapidement en Europe sur ces questions budgétaires.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.