Euronomics

Ukraine : l’heure des choix pour l’Europe de la Défense

Photo de Markus Spiske - Pexels Ukraine : l’heure des choix pour l’Europe de la Défense
Photo de Markus Spiske - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank européen traitant des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem, aujourd’hui, il est question d’un sujet très sérieux : le soutien économique et militaire européen aux Ukrainiens dans le cadre de l’invasion russe sur son sol.

Oui Laurence, ce sujet revient plus que jamais sur le devant de la scène au moment où le Président Zelensky vient de présenter son « plan de victoire » en 5 points, comprenant notamment l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, mais aussi au moment où les élections américaines pourraient bel et bien ramener Donald Trump – dont un documentaire a récemment mis en relief les liens avec la mafia et le gouvernement russes dès les années 1980 - sur le devant de la scène, ce qui risque de changer profondément la nature du soutien américain à l’égard de l’Ukraine.

Zelensky, faisant face à une situation difficile sur le front de l’Est, repart en campagne auprès des Occidentaux car l’hiver sera rude sans un soutien accru de leur part, notamment si les Américains se désengagent. Après deux ans et demi de guerre, le pays est malheureusement pratiquement à genou démographiquement et économiquement.

Par ailleurs, si Trump est élu – lui qui a affirmé que l’Ukraine était à l’origine de la guerre –, le président américain pourrait comme il l’a annoncé vouloir mettre fin à la guerre le plus rapidement possible. Cela constituerait à n’en pas douter une immense victoire pour Vladimir Poutine si la ligne de front actuelle définissait les termes de la paix - et un danger incommensurable pour l’Europe, à commencer par les pays Baltes et la Pologne.

Par ailleurs, si la paix n’est pas possible – et cela est probable -, Trump pourrait néanmoins être tenté de tout de même stopper purement et simplement la livraison d’armes à l’Ukraine alors que les États Unis en ont été les principaux pourvoyeurs depuis le début du conflit en 2022. Il ne faut pas oublier que la crise de l’hiver 2024 s’agissant de l’aide militaire américaine à l’Ukraine a été orchestré par Trump lui-même.

Cette situation est très préoccupante. Que doivent faire les Européens ?

Un potentiel retour de Trump à la Maison Blanche s’aligne par un heureux hasard avec le début des travaux de la nouvelle Commission européenne. Si le 5 novembre prochain, Trump fait de nouveau basculer le monde, les Européens ont donc les cartes en main pour mettre au point une Europe de la Défense qui soit à la hauteur des enjeux, notamment pour compenser le désengagement américain en Ukraine. Si Trump manifeste une volonté renouvelée de malmener et/ou de délaisser l’OTAN au profit d’un engagement américain accru dans l’indopacifique, Andrius Kubilius, le probable Commissaire lithuanien à la Défense et à l’Espace, aura fort à faire pour, d’une part, faciliter l’essor de la base industrielle et technologique de Défense européenne, la fameuse BITDE, mais également pour préparer l’Europe à la guerre, tout simplement – avec notamment, comme il le soutient, la constitution d’un stock d’armes européen destiné à être utilisé en cas de conflit direct avec la Russie et des centaines de milliards d’euros investis dans le secteur européen de la Défense pour élever les capacités de production et d’innovation. Même sous une présidence Harris, le développement d’une Europe de la Défense complémentaire à l’OTAN sera nécessaire pour préparer l’Europe aux menaces qui l’affectent.

L’Union européenne, ce projet fondé pour la paix, doit donc se préparer à la guerre. En serons-nous vraiment capables ? 

Bonne question. Les freins à la constitution d’une véritable Europe de la Défense sont légion. Pour commencer, malgré les évolutions positives en la matière – comme la Facilité européenne pour la paix qui financent la livraison d’armes à l’Ukraine -, beaucoup de pays européens sont atlantistes – autrement dit, ils sont très heureux de bénéficier des « dividendes de la paix » octroyées par la fin de la guerre froide et le parapluie américain, et ne souhaitent pas vraiment participer au développement d’une structure de coordination de la Défense européenne en dehors de l’OTAN, et encore moins à une armée européenne. S’agissant de la BITDE, ces pays qu’on retrouve plutôt au Nord et à l’Est de l’Europe tiennent la plupart du temps à acheter du matériel à l’allié américain pour le « remercier », ce qui ne tend pas à favoriser l’essor du secteur de la Défense en Europe. Enfin, les Américains eux-mêmes ne sont pas particulièrement favorables à une Europe de la Défense : Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN jusqu’il y a peu, a ainsi fait savoir que l’Europe ne devait pas « dupliquer l’OTAN », et les pressions américaines destinées à minimiser la portée du fonds européen de Défense il y a quelques années témoignent de la volonté outre-Atlantique de garder la main en Europe en la matière.

Pour autant, l’agenda de la Défense européenne est sur le papier ambitieux, avec notamment la perspective d’une véritable « Union européenne de la Défense ». Ursula von der Leyen a ainsi annoncé vouloir beaucoup faire pour d’une part développer les industries de Défense européennes avec de nouveaux instruments de politique industrielle – comme la création d’un marché unique de la Défense et des Projets Importants d’Intérêt Européen Commun, les fameux PIIECs, dans la Défense. Elle prévoit également de réserver une grande part de la commande publique européenne dans le secteur de la Défense aux industriels européens pour leur assurer une demande à moyen/long-terme.

Si Trump est élu et que les Américains délaissent l’Ukraine, même s’il est déjà tard pour compenser leur abandon, on peut parier sur une prise de décision rapide des Européens à partir du 6 novembre en faveur du développement accéléré de cette BITDE. Sans quoi nous pourrions non seulement nous mettre en danger – avec les répercussions économiques que l’on peut imaginer –, mais également sonner la défaite idéologique de l’Occident libéral si l’Ukraine venait à céder, un très mauvais signal pour le reste du monde.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.