Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit fait partie intégrante de l'identité même de l'Union européenne en tant qu'ordre juridique commun, mais quelles sont les obligations juridiquement contraignantes pour les États membres ?
Il y en a un certain nombre, mais l’actualité nous renvoie à cette loi, adoptée par la Pologne en 2019, modifiant les règles relatives à l'organisation des juridictions.
Oui je m’en rappelle.
La Commission européenne a introduit un recours en manquement. Cela signifie que la Commission demande à la Cour de justice de l’UE de constater, comme elle, que le régime mis en place par cette loi viole plusieurs dispositions du droit de l’Union.
Donc la Cour constate aussi la violation et condamne.
Voilà, une 1ère condamnation, en octobre 2021, d’une astreinte journalière de 1 000 000 €. Cette astreinte est considérée comme nécessaire pour assurer l'exécution la plus rapide possible des modifications et suspensions législatives amenant au respect de l’État de droit. En avril 2023, le montant de l'astreinte journalière a été réduit de moitié.
Donc l’obligation juridique d’un État membre respectueux de l’État de droit, c’est de revoir sa législation si la Commission lui indique.
Oui et cela peut très bien se faire sans intervention du juge de Luxembourg ! Si on en arrive à une telle condamnation, c’est parce que le gouvernement a refusé le dialogue avec la Commission.
Et sur le fond, cette semaine le juge développe les incohérences entre cette loi et l’État de droit européen.
Tout à fait, la Cour apporte son éclairage sur ce que l’on doit comprendre de l’État de droit. Les États membres sont tenus de veiller à prévenir toute régression de leur législation en matière d'organisation de la justice. L’indépendance des juges fait partie intégrante de l'identité même de l'Union européenne.
Mais pourquoi Sebastian Kaleta, le vice-ministre polonais de la justice, a qualifié le verdict de "farce" et remet en cause le droit de la CJUE se prononcer ?
Bonne question ! Peut être que l’article 258 du TFUE est trop compliqué pour lui, ce qui est dommage quand on représente l’exécutif de son pays en matière de justice.
Non franchement, il agit en militant. Une législation qui aurait permis à son parti de mieux contrôler ses magistrats, évidemment, c’est plus intéressant lorsque l’on envisage une présence politique hégémonique. Les avis divergents, qu’ils viennent de l’UE ou d’ailleurs, ce n’est jamais bien accueilli quand on ambitionne à être un parti unique.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.