L'état de l'État de droit - Elise Bernard

Géorgie : lutte d'influence entre Est et Ouest

© European Union - Source : EP Géorgie : lutte d'influence entre Est et Ouest
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Elise Bernard, Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L’Etat de droit et ses exigences créent des dissensions entre les représentants des Etats membres, on l’a vu à plusieurs reprises mais c’est aussi une exigence qui attire, on le voit en particulier avec ce qui se passe en Géorgie en ce moment.

Oui Laurence, clairement, le sort de l’Europe se joue de plus en plus nettement à l’extérieur des frontières de l’UE.

On a l’impression de retrouver les luttes d’influence entre Est et Ouest à l’extérieur des principaux intéressés.

En effet, l’Ukraine a manifesté son refus de l’hégémonie russe et son modèle oligarchique de société, en ripostant à l’entrée des chars d’assaut envoyés par le Kremlin. En Géorgie et en Moldavie, les situations sont différentes mais leur rapport à l’Union européenne et son Etat de droit témoigne de ces oppositions et de la stabilité du continent.

Ce mois de mai 2024, on a vu la foule et l’Hymne à la joie résonnant devant le Parlement à Tbilissi, des députés qui s’opposent - en en venant aux mains - lors du vote de la loi qui secoue ce pays du Caucase depuis plus d’un an.

La loi supposée contrôler l’influence étrangère en Géorgie, calquée sur une loi similaire en Russie a donc été adoptée. Malgré la très forte mobilisation populaire dans la rue et aussitôt après le vote, la police a violemment dispersé les manifestants.

La loi sur les agents étrangers a eu des conséquences dramatiques sur la société civile organisée en Russie, ce dont de nombreux Géorgiens ont l’air d’avoir conscience.

Cette loi russe qui sert de modèle est entrée en vigueur en réponse aux manifestations contre le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012. Elle exige que toute organisation qui reçoit un soutien non russe se déclare comme « agent étranger ».

L'expression même d’« agent étranger » rappelle sérieusement l’époque de l'espionnage durant la guerre froide.

C’est vrai. Cette loi a surtout été conçue pour limiter les ONG indépendantes susceptibles de rendre visibles les opposants au régime.

L’Union européenne ne peut vraiment plus se permettre de se désintéresser du sort de ses voisins, en particulier lorsqu’ils sont candidats à l’adhésion.

De sérieuses questions se posent : que risque la Géorgie si elle n’adopte pas cette loi sur les financements de l’étranger d’inspiration clairement poutinienne ? Certains s’imaginent qu’elle pourrait subir le même sort que l’Ukraine. Car la portée politique de cette législation est d’abord d’éloigner Tbilissi de l’UE. Pour sûr, une telle législation n’est pas compatible avec le statut de candidat à l’UE : la Géorgie risque donc de se voir bloquée dans son avancée vers l’adhésion.

En Géorgie on hésite encore à embrasser un Etat de droit rigoureux donc.

On peut expliquer cela ainsi. Le veto posé par la présidente Salomé Zourabichvili et la démission de l’ambassadeur en France, Gotcha Javakhishvili, sont manifestes de cette opposition entre ceux qui pensent que faire plaisir au Kremlin assure la paix et ceux qui pensent l’inverse. Et c'est dans cette position que se montre franchement la Moldavie : plier sous les menaces du Kremlin n'empêchera pas ses ambitions expansionnistes, adhérer à l’Union européenne constitue une meilleure option.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron