Chaque semaine sur euradio, retrouvez la chronique de Bernard Guetta, député européen, qui effectue un retour sur les actualités et événements européens actuels.
Ouvrons les yeux. Des tombereaux d’euros y avaient acheté tant de votes que la Moldavie a failli revenir dans l’orbite russe. En Roumanie, le Kremlin, ses algorithmes et ses chéquiers avaient propulsé un pro-russe inconnu en position de remporter une présidentielle que la Cour constitutionnelle a dû annuler. En Géorgie, une répression toujours plus brutale s’est abattue sur les manifestants pro-européens qui s’obstinent à dénoncer la manipulation des dernières législatives.
Alors qu’il perd pied au Proche-Orient, Vladimir Poutine œuvre nuit et jour à reconstituer le bloc soviétique et ce qui se joue en Ukraine n’est ainsi pas que l’indépendance de ce pays. C’est la liberté de l’Europe entière que les Ukrainiens défendent car sur un continent, le nôtre, dont les Etats-Unis s’éloignent, le rapport de forces pourrait bien vite pencher en faveur du plus étendu des pays du monde, la Russie que soutient la Chine, deuxième économie mondiale.
Comme elle l’a fait en Géorgie, en Moldavie et en Roumanie, la peur de la guerre conduit nombre d’électeurs européens à vouloir composer avec Moscou. Bien qu’en trois ans la Russie n’ait su s’adjuger qu’un cinquième du territoire ukrainien, des partis politiques, à l’extrême-droite, à l’extrême-gauche et ailleurs, un Premier ministre en Hongrie, d’autres bientôt peut-être, plaident pour apaiser l’agresseur en lui concédant aujourd’hui l’Ukraine et demain, s’il le faut, d’autres morceaux encore de son ancien empire.
Attisée par Vladimir Poutine et ses menaces de recourir à l’arme nucléaire, cette peur de la guerre creuse ses galeries sous nos scènes politiques et ne nous y trompons. Si demain Donald Trump s’entendait avec le pouvoir russe pour imposer une partition de l’Ukraine et interdire toute alliance à ce qui resterait d’Ukraine indépendante, si demain Vladimir Poutine sortait vainqueur de la guerre qu’il a ouverte, bien des pays européens choisiraient de composer avec lui. C’en serait fait de notre unité et nous serions tellement affaiblis que les lignes rouges de la Russie s’imposeraient à nous comme à la Finlande durant la Guerre froide.
Ou bien nous nous décidons à vraiment épauler l’Ukraine ou bien nous nous résolvons à la semi-indépendance de vassaux impuissants. Ou bien nous nous préparons à assumer seuls, sans les Etats-Unis, le poids militaire et financier de l’aide à Kiev ou bien la Russie devient la puissance dominante du Vieux monde. Ou bien ceux des Européens qui le veulent unissent leurs forces pour barrer la route à Vladimir Poutine ou bien nous ne comptons plus.
« Mais vous rêvez ! Les jeux sont faits », diront beaucoup en expliquant que nous n’avons ni forces armées ni budgets suffisants pour pallier un abandon de l’Ukraine par Donald Trump. Cela s’entend déjà mais Joe Biden s’emploie à ce que les Etats-Unis fournissent assez d’armes et d’argent aux Ukrainiens pour qu’ils puissent tenir jusqu’à l’été. Cela nous laisse assez de temps pour organiser un front européen autour de la Pologne, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, celle qui sortira des urnes en février.
Si ces quatre puissances-là serrent les rangs, d’autres capitales européennes suivront. Les opinions bougeront. Les avoirs russes gelés financeront les efforts à faire et l’on découvrira alors que Vladimir Poutine n’a pas plus les moyens d’une guerre prolongée en Ukraine qu’il n’en avait de défendre son allié syrien ; que la résistance européenne l’oblige à de vrais compromis ; que Donald Trump n’aurait aucune raison de prêter la main à un perdant et qu’une Europe qui aurait su s’affirmer serait en position de négocier des relations équilibrées avec les Etats-Unis et l’Afrique, la Chine et la Russie. Nous avons le choix, à la seule condition de le faire vite et sans hésiter.