Comme toutes les semaines, nous accueillons Jenny Raflik, professeure d'Histoire à l'Université de Nantes pour sa carte blanche de la PFUE.
Cette semaine, nous avons fêté l’Europe, le 9 mai. Depuis quand cette fête existe-t-elle ?
Depuis 1986. Mais la décision d’instaurer la fête de l’Europe le 9 mai a été prise en juin 1985, les 28 et 29 juin précisément, par le Conseil européen de Milan.
On peut même faire remonter l’origine de cette décision un peu plus tôt, puisque ce Conseil européen de Milan a entériné des propositions présentées par un comité ad hoc, « Europe des citoyens », dit aussi comité Adonnino, du nom de son président, un démocrate-chrétien italien. Comité qui a vu le jour et travaillé dans le contexte de la relance de Fontainebleau (juin 1984).
Que proposait exactement ce comité Adonnino ?
Dans son rapport, il proposait deux types de mesures.
Une première série de propositions tendait à accroître les droits des citoyens européens. Une seconde était destinée à développer une stratégie identitaire par la symbolique européenne. Ces mesures devaient rapprocher l'Europe de ses populations.
Le Conseil européen de Milan a approuvé une bonne partie de ces propositions. Pour citer les plus importantes, on peut évoquer la création du passeport européen. Des consultations ont été lancées sur la suppression, pour la circulation des personnes, des formalités de police et de douane aux frontières intercommunautaires, ainsi qu’à propos d’un système général d'équivalence des diplômes universitaires. L’objectif était de rendre effectif le droit de libre établissement au sein de la Communauté.
En matière d’identité européenne, le rapport préconisait précisément « l'institution, le 9 mai de chaque année, de la Journée de l’Europe en vue de créer une prise de conscience et de diffuser des informations, en particulier dans les écoles, ainsi qu'à la télévision et par la voie d'autres moyens de communication ». La proposition s’inscrivait dans un paragraphe intitulé « l’image de l’Europe dans l’éducation », et concernait initialement surtout les écoles et les universités.
Une autre proposition la complétait. Intitulée « Renforcement de l'image et de l’identité de la Communauté », elle proposait, « pour des raisons tant pratiques que symboliques, qu’un drapeau et un emblème soient utilisés lors de manifestations et d’expositions nationales et internationales et à d’autres occasions où l’attention du public doit être attirée sur l'existence de la Communauté ».
Une journée de fête, un hymne, un drapeau… : l’Europe investit ainsi les mêmes symboles que les États nationaux pour marquer son identité. Dès 1986, le 9 mai devient donc « la journée de l’Europe » comme on la connait toujours aujourd’hui.
Pourquoi le 9 mai ? D’autres dates auraient-elles pu être choisies ?
Oui. On aurait pu envisager de choisir les dates du congrès de La Haye (7-10 mai 1948), moment phare dans l’élaboration et la cristallisation de la pensée européenne, ou encore celle de la signature du premier traité européen, le 17 mars 1948, à l’origine de l’Union de l’Europe occidentale (UEO).
Mais le choix s’est porté sur un symbole : le discours prononcé par Robert Schuman le 9 mai 1950, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay. Ce discours a été inspiré à Robert Schuman par Jean Monnet : il met donc en valeur deux des « Pères de l’Europe ». Ce discours propose, je le rappelle, de créer une communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
Dans une formule prophétique du déroulé de la construction européenne, Robert Schuman déclare ce jour-là : « L'Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne ».
Ce sera le cas avec la signature, le 18 avril 1951, par six États européens (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas), du traité de Paris fondant la CECA.
Mais, et je souhaite insister sur ce point, c’est le symbole de l’idée, plus que sa réalisation, qui a été mis en avant. C’est en effet la date du discours, et celle non du traité, qui a été retenue. Sans doute en partie parce que le traité de Bruxelles évoquait le risque de résurgence d’une menace allemande. Alors que le discours de Schuman mettait au contraire en avant la réconciliation franco-allemande. De fait, l’Europe se construit alors prioritairement sur ce couple franco-allemand. C’est aussi cela que l’on célèbre le 9 mai, le lendemain du jour marquant l’anniversaire de la fin de la guerre. Les symboles se télescopent et s’enrichissent mutuellement.
Mais pourquoi a-t-on écarté la date du congrès de La Haye ?
Le congrès de La Haye, lui, a surtout débouché sur la création du Conseil de l’Europe. Or le Conseil de l’Europe a lui aussi institué une Journée de l’Europe, fixée depuis 1964 le 5 mai. Cette date est moins connue. La proximité des deux permet d’organiser quelques événements sur la semaine ou le mois avec une grande flexibilité.
Mais de ce constat découle peut-être la faiblesse intrinsèque de cette journée de l’Europe : illustration des multiples institutions parallèles existant en Europe, plusieurs dates font référence. Et aucune n’a réussi à s’imposer comme l’équivalent des fêtes nationales. Les célébrations restent limitées, ou alors, au contraire, elles sont diluées, comme à Nantes, par exemple, où on célèbre en mai le mois de l’Europe.
À ce jour, seul le Luxembourg a fait du 9 mai un jour férié.
Clairement, il reste à faire pour investir pleinement ce symbole européen et lui donner une vraie lisibilité aux yeux des citoyens.
Jenny Raflik au micro de Laurence Aubron