Comme toutes les semaines, nous accueillons Jenny Raflik, professeure d'Histoire à l'Université de Nantes pour sa carte blanche de la PFUE.
Dans son discours devant le Parlement européen, le 9 mai, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de « structurer le continent » autour d’une « communauté politique européenne », évoquant ainsi l’initiative de François Mitterrand, à la sortie de la guerre froide. Mais de quoi s’agissait-il ?
Le projet de François Mitterrand auquel Emmanuel Macron a fait référence était celui de « confédération européenne », lancé le 31 décembre 1989. Le contexte était vraiment très spécifique : c’était une période où l’enthousiasme le plus optimiste côtoyait l’incertitude la plus totale. Le processus de démocratisation dans les pays de l’Est s’amorçait, mais on ignorait totalement comment cette histoire se terminerait.
En effet, malgré la fin de la guerre froide, les deux Grands avançaient encore leurs pions en Europe. Fin 1989, Gorbatchev défendait son projet de « Maison Commune ». De leur côté, comme le proclamait James Baker, à Berlin, le 12 décembre, les Américain·nes voulaient préserver leur rôle en Europe, et faire de l’OTAN une sorte de forum politique occidental.
Dans ce contexte, le projet de confédération européenne de François Mitterrand visait à favoriser un équilibre des forces et à temporiser. Il s’agissait, d’une part, d’offrir aux pays d’Europe orientale, sans en exclure l’URSS, un cadre de coopération politique proprement européen, sans les USA. Et, d’autre part, de proposer à ces pays de l’Est une alternative au moins transitoire, à leur entrée dans la CEE, que François Mitterrand jugeait prématurée.
Cette confédération était donc un espace de dialogue, avant toute chose ?
Oui, elle était conçue comme un forum de dialogue politique pour traiter de questions concrètes au niveau paneuropéen. Par exemple : les échanges économiques et culturels, les réseaux de transports et de communication, l’environnement, l’énergie, la circulation des personnes, ou bien les échanges de jeunes. Elle n’aurait pas eu vocation à se substituer aux organisations préexistantes et surtout pas à la CEE. Les douze auraient constitué un noyau actif dans cette confédération. Mitterrand avait pris soin de préciser que les questions militaires et de désarmement ne seraient pas de son ressort.
A l’époque, la proposition s’adressait aux Russes et aux anciens pays du Pacte de Varsovie. Aujourd’hui, à qui s’adresse la proposition d’Emmanuel Macron ?
On comprendra qu’elle ne vise pas la Russie de Vladimir Poutine. Elle s’adresse d’abord aux pays candidats à l’entrée dans l’Union européenne, à commencer bien sûr par l’Ukraine, mais aussi la Moldavie, la Géorgie, et les États des Balkans occidentaux.
Emmanuel Macron a pris soin de ne pas fixer de limites géographiques trop strictes à sa proposition. Il ne parle pas de la Turquie, par exemple. Mais il a cité le Royaume-Uni. Ce qui signifie que cette structure pourrait accueillir à la fois des pays qui ont la volonté, à terme, de rejoindre l’UE, et d’autres qui ne le veulent pas.
Le projet de François Mitterrand a été rejeté à l’époque. Quelles sont les chances de réussite de l’actuel projet ?
Les réactions ont été très mitigées.
Il faut souligner qu’Emmanuel Macron n’a pas lancé cette idée tout seul. Il a repris, devant le Parlement, une idée déjà évoquée à plusieurs reprises ces dernières semaines dans la presse, par quelques politiques européens. En particulier le président de l’Institut Jacques-Delors, Enrico Letta. Chef du Parti démocrate italien, Letta avait déclaré le 24 avril, avec l’aval discret mais réel de Mario Draghi, le président du conseil italien : « L'idée m'est venue en calculant la date d'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne ». « En vertu des règles actuelles », elle s’opérerait en 2036 ! « C'est inconcevable, ajoutait-il, sachant les promesses faites depuis le début de la guerre et les attentes qu'elles ont suscitées. Il faut éviter l'effet explosif de frustration et de déception que cette attente provoquerait. C'est pour cela qu'il faut construire tout de suite une confédération européenne, qui sera un lieu institutionnel pour donner à l'Ukraine, sans oublier les autres pays candidats à l'entrée dans l'UE, l'occasion d'intégrer la famille européenne ».
Letta précisait : « Ce n'est pas une alternative à l'UE actuelle, mais un niveau supérieur, plus large pour partager des débats politiques et protéger ses 36 membres ». Pour lui, ce projet allait de pair avec un approfondissement du noyau central de l’Union européenne. Il évoquait en effet « 7 UE », plus intégrées, dans les domaines de la politique étrangère, de l'asile, de l'énergie, de la défense, du social et de la santé.
Hors de l’Italie, quelles ont été les réactions ?
L’Allemagne s’est contentée d’une approbation polie, jugeant l’idée intéressante et à étudier. La proposition a suscité des réactions clairement défavorables en Europe centrale, nordique et baltique. Autrement dit, elle n’a pas le soutien des premiers concernés. A ces pays qui souhaitent intégrer l’Union européenne, l’initiative apparaît comme un pis-aller, comme une organisation de seconde zone. C’est dans l’UE que l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie veulent rentrer. Non dans une organisation parallèle.
Cependant, on voit bien que derrière cette proposition, se dresse un constat : l’Europe à 27 est régulièrement bloquée. Certain·nes veulent accélérer l’intégration quand d’autres souhaitent au contraire la freiner. Au-delà de nouveaux partenariats ou de nouvelles entrées, ce qui se dessine derrière cette proposition, c’est surtout le projet d’Europe plurielles, à géométries et géographies variables. Ce n’est peut-être pas tant vers la confédération européenne de François Mitterrand que nous nous dirigeons, que vers un retour à l’Europe des origines, celle des Douze, voire des Neuf ou des Six…
Jenny Raflik au micro de Laurence Aubron