Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Le 30 juin, la Présidence française du Conseil s’achèvera. La France passera le relais à la Tchéquie. Quel bilan peut-on tirer de ce semestre ?
Il est difficile de faire un bilan objectif d’une présidence du Conseil. Tout dépend des critères que l’on utilise... En outre, présider le Conseil, c’est plus prendre un relais à la barre d’un voilier que courir un marathon : on assure sa part du travail de direction dans un effort collectif, on ne réalise pas un exploit personnel. En six mois, il est impossible de lancer une initiative et de la faire aboutir, et donc de s’en prévaloir. La présidence peut prendre des initiatives qui produiront des effets dans deux ou cinq ans, ou jamais, boucler des dossiers législatifs qui sont déjà bien avancés, gérer des urgences – en lien avec les autres responsables de l’Union – et lancer des réflexions de long terme… Mais il n’y a rien de tout cela dont le mérite revienne exclusivement à la PFUE.
S’agissant des dossiers législatifs, la Présidence française peut-elle néanmoins revendiquer un bilan ?
Oui. Elle a été stratégique, et a repéré des textes importants qu’elle a réussi à boucler ou à faire avancer. On peut mentionner les textes sur le salaire minimum européen, sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration, sur la réciprocité de l’accès aux marchés publics dans le commerce international, sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, sur la régulation des plateformes numériques systémiques (DSA et DMA) ou encore sur le Paquet énergie-climat-environnement (FITfor55). En matière d’action extérieure, la PFUE a aussi fait avancer la « Boussole stratégique », une initiative qui permet de conduire une analyse partagée des menaces et favorise une stratégie d’investissement renforcée en matière d’armements européens.
Et quel bilan peut-on tirer de la gestion par la Présidence française de la guerre en Ukraine ?
La guerre en Ukraine – aussi horrible et déplorable soit-elle – est venue valider la volonté des autorités françaises de faire avancer le dossier de la « souveraineté de l’Union ». Il y avait des réticences à l’égard de cette idée dans de nombreux États membres, mais Vladimir Poutine a fortement contribué à les battre en brèche. La PFUE a donc pu avancer sur plusieurs fronts. Elle a contribué à l’adoption de six paquets de sanctions contre la Russie, et à la mise en place d’un soutien économique, humanitaire, financier, commercial, militaire et alimentaire sans précédent à l’égard d’un état voisin de l’Union. Le sommet de Versailles de la mi-mars a permis d’arrêter une feuille de route pour la défense européenne, et la Facilité européenne pour la Défense qui sommeillait a été activée pour acquérir des armes pour l’Ukraine.
Est-ce que la France a aussi joué un rôle plus politique ?
Oui, bien entendu, mais ce n’est pas facile. Il était parfois difficile de savoir si les responsables français s’exprimaient au titre national ou à celui de la PFUE. Emmanuel Macron a, par exemple, été très critiqué pour sa volonté de garder le contact avec Vladimir Poutine et de ne « pas l’humilier ». Mais la France a agi efficacement pour maintenir la cohésion européenne face à la guerre en Ukraine et apporter une réponse unifiée des 27 dans les domaines énergétique, économique, alimentaire et humanitaire. Il y a eu un gros travail pour éviter la dispersion. La PFUE a aussi pesé de tout son poids pour la reconnaissance à l’Ukraine du statut de candidat à l’entrée dans l’Union et surmonter les réticences de certains États.
Quels sont les points plus négatifs à retenir de cette présidence ?
Il y en a deux je pense. D’abord, la devise « relance, puissance, appartenance » était un peu pompeuse pour une présidence qui se limite au Conseil et ne dure que six mois. Peut-on vraiment prétendre relancer l’économie européenne, renforcer l’Europe puissance et cultiver le sentiment d’appartenance le temps d’un semestre ? Des objectifs aussi ambitieux sont plutôt de l’ordre du mandat quinquennal d’un Président de la Commission.
Ensuite, le leadership d’Emmanuel Macron est écorné par l’absence de majorité claire à l’Assemblée nationale. Il est difficile pour un responsable qui rencontre des difficultés politiques à domicile de prendre des initiatives à l’échelle européenne. Cela ternit évidemment la fin de cette présidence du Conseil. Mais peut-être que le contexte politique français complexe va aussi encourager Emmanuel Macron à laisser plus de champ à son gouvernement, et à s’investir davantage dans les questions internationales et européennes, qui relèvent de son domaine réservé…
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron