Comme chaque semaine, nous retrouvons Olivier Costa, directeur au département d'études politiques et de gouvernance européenne au Collège d'Europe pour sa carte blanche sur la Présidence française de l'Union européenne.
Dimanche dernier, le premier tour des législatives a eu lieu. Quelles seront les conséquences de ces élections pour la PFUE et pour la politique européenne de la France ?
Il n’y aura pas de conséquences pour la PFUE. Le second tour, c’est le 19 juin, à 10 jours de la fin du semestre de Présidence tournante. Il est manifeste que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas premier ministre. Et même si Emmanuel Macron n’a pas de majorité dimanche soir, le gouvernement d’Elisabeth Borne poursuivra son action jusqu’à la fin du mois au moins.
Donc, rien ne va changer ?
En effet : il n’y a pas eu de vote massif en faveur d’un tournant de la politique européenne de la France. La NUPES, l’alliance de gauche, qui a fait campagne sur la thématique de la « désobéissance européenne », recueille 26% des voix. C’est un score équivalent à celui de la majorité présidentielle, mais c’est 4 points de moins qu’au premier tour de la présidentielle – si l’on cumule les voix des 4 candidats de gauche désormais alliés. C’est aussi le second plus mauvais score (après 2017) de la gauche sous la V° République. Ce n’est donc pas le raz-de-marée attendu, et la NUPES a moins de réserves de voix que la majorité présidentielle. Elle n’aura pas la majorité.
Oui, mais le Président est également affaibli…
Oui, c’est sûr. Alors qu’en 2017, il avait fait le plein de voix aux législatives, il a fait un score assez modeste, qui traduit bien l’usure du pouvoir. Pour mémoire, Emmanuel Macron est le premier Président réélu sous la V° République sans sortir d’une situation de cohabitation. Il subit donc de plein fouet l’usure du pouvoir. Une partie des électeurs qui ont voté pour lui au second tour de la présidentielle, pour faire barrage à Marine Le Pen, n’entendent pas lui donner un blanc-seing comme en 2017 et attendent un changement. Les partis de la gauche, réunis dans la NUPES, ont capitalisé sur cela. Et le RN est en embuscade : il a fait dimanche le meilleur score de son histoire aux législatives, avec 19% des voix. Son nombre de députés sera restreint, car il ne dispose pas de réserves de voix, mais c’est symbolique de la défiance que doit affronter le Président.
Est-ce qu’Emmanuel Macron aura une majorité dimanche prochain ?
Selon les projections, c’est possible mais ce sera difficile. S’il n’avait qu’une majorité relative, il lui faudrait composer avec 10 ou 20 députés élus sous l’étiquette divers-gauche, UDI ou LR. Les Républicains lui ont déjà fait des appels du pied, plus ou moins discrets. Emmanuel Macron sera alors contraint de négocier avec eux son programme et la composition de son gouvernement.
Est-ce que cela aura des conséquences pour la politique européenne de la France ?
Je ne pense pas. Emmanuel Macron a fait campagne sur un programme très pro-européen. Et ‘Ensemble’, la coalition de la majorité présidentielle, a fait de même pour les législatives. S’il y a des accords avec d’autres formations, à gauche ou à droite, ce sera sur la base de ce programme pro-européen. Sous la V° République, les questions européennes font partie du domaine réservé du Président. Et il tiendra à imposer sa vision en la matière – quitte à lâcher du lest sur certains aspects de la politique intérieure.
Donc, il n’y aura pas d’impact sur la politique européenne du pays ?
Il pourrait y en avoir une. Clément Beaune, le Ministre délégué en charge des affaires européennes, est candidat dans la 7° circonscription à Paris, et il est en ballotage défavorable face à une candidate de la NUPES. S’il perd, il sera contraint à la démission. C’est la règle qui a été annoncée : les ministres battus devront quitter le gouvernement. Ce serait un coup dur pour la politique européenne de la France. En effet, Clément Beaune en a été l’artisan depuis 2017, d’abord comme conseiller « Europe » du Président, puis comme Secrétaire d’État aux affaires européennes, puis comme Ministre délégué. Il a beaucoup contribué à la définition de la ligne présidentielle en matière européenne, et a été le principal artisan de la PFUE.
Mais un ministre, cela se remplace…
Oui, mais dans la très longue liste des gens qui ont été en charge des questions européennes en France depuis 30 ans, c’est l’un des seuls qui soit un vrai expert de la chose, qui soit resté durablement à ce poste, et qui se passionne pour la fonction. Le remplacer sera difficile. Ce n’est pas seulement un fin connaisseur des questions européennes : c’est aussi un interlocuteur apprécié en Europe, sa compétence et son tact sont appréciés. Clément Beaune n’a pas l’arrogance habituelle des responsables politiques français, et sait de quelle manière l’Europe et la France sont perçus dans les 26 autres capitales. Ce sont des qualités rares dans le microcosme politique français.
Olivier Costa au micro de Laurence Aubron