Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Aujourd’hui s’ouvre la deuxième journée du Sommet européen à Versailles qui réunit les 27 chefs d’États de l’UE. Et le contexte ne pourrait pas être plus tendu puisque la guerre en Ukraine continue et que tous les regards sont tournés vers les chefs d’États européens pour savoir ce qu’ils vont faire, comment l’UE va réagir et si les Européens vont subir les conséquences économiques de ce conflit.
À l’origine, ce sommet devait être surtout l’occasion pour le Président Français, dans le cadre de la PFUE, de mettre sur la table son projet de nouveau modèle économique et de croissance pour l’Union européenne. Mais aujourd’hui, aux vues des évènements récents, les enjeux de ce sommet dépassent de loin les ambitions initiales.
Lorsqu’Emmanuel Macron a annoncé ce sommet, dans le cadre du calendrier de la PFUE, quels étaient justement les objectifs recherchés ?
Il faut se souvenir des 3 grands axes du programme de la Présidence française : une Europe plus souveraine, un nouveau modèle européen de croissance, et une Europe plus humaine. Le Sommet des 10 et 11 mars était initialement consacré au deuxième axe de la PFUE. L’objectif c’était de proposer les termes d’un nouveau modèle économique européen, qui prenne en compte plusieurs enjeux : l’augmentation des inégalités en Europe, le problème de la désindustrialisation (que la crise sanitaire a remis sur la table), le défi climatique et de la transition, et aussi le défi de la révolution numérique (avec l’ambition de bâtir un marché unique du numérique et de créer des géants du web capables de rivaliser avec les champions américains).
Ces objectifs sont différents aujourd’hui ?
Oui, avec la crise ukrainienne, il est probable que les discussions se recentrent autour de trois enjeux majeurs et jugés plus urgents : premier enjeu, les conséquences à court, moyen et long terme des sanctions économiques et commerciales contre la Russie ; deuxième enjeu, l’indépendance énergétique de l’Europe ; et enfin le troisième, la défense européenne et la sécurité du continent. Au final, l’objectif avec ce sommet c’est de penser le coup d’après. Les Européens n’arriveront pas à stopper l’invasion de l’Ukraine et à convaincre Poutine de reculer. En revanche, ce qu’il faut faire maintenant, c’est penser l’après, préparer nos économies à encaisser le choc et à être plus résilientes, plus indépendantes surtout, en cas de nouvelles crises.
Concrètement ça veut dire investir davantage, augmenter le budget de l’Union européenne ? C’est des questions qui vont être abordées pendant ce sommet ?
Oui la question du budget et des investissements est plus que jamais centrale. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs dit clairement lors de son allocution aux Français. La paix a un prix, tout comme la solidarité, et le coût de la paix et de la solidarité c’est d’investir davantage et probablement plus qu’on ne l’a jamais fait, pour ne pas rester dépendants d’autres puissances. Et c’est justement de ce coût qu’il va être question lors du sommet de Versailles. La question c’est combien et à quelle échéance les Européens sont-ils prêts à payer pour assurer leur souveraineté et leur sécurité ?
On parle beaucoup du coût de l’énergie et des matières premières depuis le début de la guerre en Ukraine. L’ancien Président français François Hollande a même appelé les dirigeants européens à cesser d’acheter du gaz à la Russie. Et le Président américain Joe Biden a déclaré mardi un embargo sur les importations de pétrole et de gaz russes.
Oui la question de l’énergie est majeure aujourd’hui. Déjà, avant la crise ukrainienne, l’Europe faisait face à une montée des prix de l’énergie. C’est plus facile pour les États-Unis de se passer du gaz russe que pour nous. Ils n’ont pas du tout le même niveau de dépendance énergétique. Alors oui ce serait un coup dur porté à Vladimir Poutine puisque les exportations de gaz vers l’Europe sont une source de financement majeure pour le Kremlin. Mais les conséquences pour les Européens vont aussi être très lourdes.
Le coût de l’indépendance énergétique de l’Europe va être énorme. C’est ce vers quoi il faut tendre bien sûr, mais la guerre en Ukraine précipite les choses et il sera difficile de pallier les effets négatifs sur les citoyens européens. Ce qui est sur c’est que le sommet de Versailles va être en grande partie consacré à cette question. La Commission européenne a d’ailleurs proposé mardi un nouveau programme intitulé « RePowerEU » dans lequel elle met en avant des objectifs extrêmement ambitieux.
Lesquels ?
L’objectif annoncé c’est de réduire de deux tiers notre demande en gaz russe d’ici à la fin de l’année. Donc en moins d’un an, il va nous falloir trouver de nouvelles sources d’approvisionnements et reconstituer des stocks pour pouvoir faire face à l’hiver prochain. La Commission propose un taux de remplissage des réservoirs de gaz de 90 %, d’avoir un recours accru aux énergies renouvelables, notamment l’hydrogène et le biométhane. Mais cette transition hyper rapide et brutale va nécessiter des coûts exorbitants en termes d’infrastructures déjà et surtout en termes d’importations. En accélérant drastiquement la transition de son modèle énergétique, l’Europe prend un vrai risque aujourd’hui.
Alors si cela permet effectivement de faire reculer Vladimir Poutine dans les semaines qui viennent, ce pari sera gagnant. Sinon, il est probable que les citoyens européens finissent par s’interroger sur l’utilité de ce risque, surtout si leurs factures énergétiques continuent de s’envoler... Mais quoi qu’il arrive, on ne peut plus douter aujourd’hui de la volonté des Européens à agir et à se penser comme une puissance souveraine. Vladimir Poutine aura au moins réussit l’exploit de tous nous unir et de renforcer plus que jamais la solidarité européenne.
Joséphine Staron au micro de Cécile Dauguet