Cette semaine, Quentin Dickinson, vous êtes retourné à Strasbourg, pour y prendre le pouls des citoyens européens, de leurs idées et de la part de consultation qui leur est réservée…
Les sondages le montrent à suffisance depuis bien avant le début du siècle : l’attitude des 450 millions de citoyens de l’UE vis-à-vis de celle-ci est quelque peu schizophrénique. D’un côté, l’Europe est l’objet de toutes les critiques : elle en fait trop, à moins qu’elle n’en fasse pas assez. Son organisation serait incompréhensible, et ses objectifs, liberticides. Surtout, elle serait coupée des réalités quotidiennes de la population. En gros, tous les reproches, souvent fondés, adressés à la classe politique de chaque pays, se retrouvent dans les griefs, rarement avérés, dont les institutions européennes sont accablées. Mais, d’autre part, chaque fois qu’une voix s’élève pour réclamer l’abrogation de dispositions, telles que la libre circulation des personnes, la monnaie unique, le programme Erasmus, voire la sortie d’un pays du marché unique ou de l’Union dans son ensemble, alors, il ne se trouve aucune vague de soutien significatif à semblables initiatives.
L’Europe, semble-t-il, fait donc partie des meubles : on ne les aime pas vraiment, ces meubles, et on ne se souvient plus tellement comment on en a hérité, mais les enlever laisserait incontestablement un vide dans la maison.
Face à ce constat, qui, en effet, n’est pas nouveau, les dirigeants européens ont voulu réagir et à grande échelle, c’est cela ?...
Oui, frustrés de cette incompréhension ou, simplement, de guerre lasse, les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement ont tenté le tout pour le tout et ont lancé il y a un an une consultation citoyenne d’une ampleur sans précédent : huit cents citoyens tirés au sort, répartis entre neuf pôles de discussion thématiques, une centaine de réunions tenues un peu partout en Europe, trois plénières dont celle de cette semaine, et, à l’arrivée, plus de trois cent propositions autour de quarante-neuf objectifs. A peu près tout a été passé au crible, des enjeux économiques à long-terme et des impératifs de la transition numérique jusqu’aux dossiers sensibles du moment : migrations, santé, environnement, en passant par une réflexion sur les valeurs démocratiques et de l’État de droit.
Que peut-on penser de ce travail titanesque ?
D’abord – et c’était inévitable, le résultat de cette Conférence sur l’Avenir de l’Europe (c’est son nom) est un peu inégal : les propositions techniques sont intéressantes et bien documentées, alors que les suggestions institutionnelles sont souvent juridiquement dépourvues d’appui ou font déjà l’objet d’initiatives de la part de l’un ou l’autre des partis politiques. Cela dit, cet épais catalogue peut constituer une référence utile et une feuille de route - en quelque sorte de nouveaux Cahiers de doléances à l’échelle d’un continent.
C’était sûrement une bonne idée, mais maintenant, on en reste là, ou on recommence dans dix ans - enfin : y aura-t-il une suite ?
C’est toute la question. Lors de la dernière plénière de présentation des conclusions des différents pôles, à la fin du mois d’avril, les représentants de la Commission européenne, ceux du Parlement européen, et ceux des vingt-sept États-membres se sont engagés à mener vigoureusement leur action dans le cadre des institutions existantes, afin de donner corps et vie au plus grand nombre des propositions formulées.
En chemin, les obstacles ne manqueront assurément pas, d’autant que le Parlement européen entend pousser à la création d’une convention paneuropéenne, chargée de proposer des modifications constitutionnelles de substance, fondées au moins en partie sur les textes de cette Conférence. Toutes les capitales de l’UE n’en seraient pas débordantes d’enthousiasme ; et la Commission européenne elle-même entend défendre son monopole de la proposition législative.
Les dirigeants de nos pays devront bien mesurer tout le risque qu’il y a à faire miroiter à leurs citoyens et électeurs un avenir que ceux-ci pensent avoir contribué à définir, si par malheur à l’élan succède la déception. De cela dépend que la Conférence sur l’Avenir de l’Europe accouche d’une nouvelle donne ou, au contraire, qu’on s’aperçoive qu’elle n’aura été qu’une cynique tromperie sur la marchandise politique.