L'édito européen de Quentin Dickinson

Du mauvais usage de l'Histoire

© Gage Skidmore from Surprise, AZ, United States of America - Wikimedia Commons Du mauvais usage de l'Histoire
© Gage Skidmore from Surprise, AZ, United States of America - Wikimedia Commons

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, Quentin Dickinson, vous entendez préserver de Donald TRUMP la mémoire de l’un de ses prédécesseurs à la Maison-Blanche, c’est cela ?...

On le sait, Donald TRUMP ne reconnaît qu’un seul de ses prédécesseurs qu’il estime être (presque) son égal, et il fait d’ailleurs régulièrement référence aux idées de cet homme, le Républicain William McKINLEY, 25e Président des États-Unis, de 1896 à 1901.

Mais, à l’examen, M. TRUMP détourne l’Histoire comme il déforme l’actualité.

Comment cela ?...

D’abord, William McKINLEY était un homme intègre, qui exprimait une empathie sincère envers les classes laborieuses de son pays. Son fidèle attachement à son épouse à la santé fragile contribuait aussi à son immense popularité.

On a donc quelque peine à discerner ce que ce juriste rigoureux et homme de devoir pourrait avoir en commun avec Donald TRUMP.

Mais pourtant, le Président McKINLEY était un chaud partisan du protectionnisme et des droits de douane prelevés sur les importations aux États-Unis de produits étrangers, non ?...

C’est vrai, car il était d’avis que des droits de douane élevés garantissaient des salaires élevés ; peu de temps après le début de son premier mandat, il réunit le Congrès en session spéciale pour faire adopter une loi augmentant d’importance les droits à l’importation.

Cette mesure était à la fois populaire et mal comprise par des électeurs, placés sous l’influence croissante des publications des deux magnats de la presse que furent Randolph HEARST et Joseph PULITZER, qui présentaient McKINLEY comme le Précurseur de la Prospérité.

Avec McKINLEY, le processus législatif aura été entièrement respecté – et pas le moindre décret-loi présidentiel, façon Donald TRUMP.

Quand même, Quentin Dickinson, votre McKINLEY aura déclenché une guerre contre l’Espagne…

Je n’en disconviens pas, mais il a été piégé par la divulgation d’un courrier personnel de l’Ambassadeur d’Espagne à WASHINGTON, qui le décrivait comme « faible, indécis, et imbu de sa personne » - alors que McKINLEY s’était toujours montré réticent à impliquer les États-Unis dans les luttes d’indépendance des Cubains contre leur colonisateur espagnol.

Dans un discours, lui qui avait combattu lors de la Guerre de Sécession, rappela que « L’on ne doit pas s’engager dans une guerre avant que tous les moyens de préserver la paix se soient révélés infructueux ». Mais la presse populaire était outrancièrement va-t-en guerre, et le naufrage du croiseur américain Maine en rade de La HAVANE, victime d’une explosion à son bord (dont on sait aujourd’hui qu’elle fut accidentelle), fit le reste.

Pourtant chef de la diplomatie étatsunienne, le Secrétaire d’État se réjouissait ouvertement d’appeler à ce qu’il appelait une merveilleuse petite guerre.

Les hostilités furent donc déclenchées ; elles allaient durer trois mois, et elles se soldèrent par la déroute espagnole, et la création de l’empire américain par l’annexion des possessions espagnoles des Philippines, de Porto-Rico, et de Guam.

Toutefois, McKINLEY ne devait pas cacher son malaise à l’idée d’annexer des territoires sans le consentement de leurs habitants.

En 1901, le Président McKINLEY entreprit une tournée des États-Unis qui devait culminer à BUFFALO, dans l’État de New-York, où se tenait la grande Exposition panaméricaine.

Son discours fut révélateur de son changement radical de conception en matière économique : il devait souligner la « nécessaire réciprocité du commerce entre nations ». En particulier, il prononça les mots que voici : « Nous ne devons pas nous bercer de l’illusion que nous pourrons éternellement exporter tout, et n’importer rien, ou si peu ».

Dix minutes plus tard, un anarchiste d’origine polonaise l’abattait de deux coups de révolver. Il mourut de septicémie huit jours après.

Alors, il ne serait sans doute pas inutile que quelqu’un dise à Donald TRUMP de se trouver une autre idole historique ; aux dernières nouvelles, GENGHIS-KHAN, CALIGULA, ou NÉRON pourraient faire l’affaire.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.