L'édito européen de Quentin Dickinson

Gaz à tous les étages

Image par Jim Black - Pixabay Gaz à tous les étages
Image par Jim Black - Pixabay

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Vous vous êtes penché cette semaine sur une importante redistribution des cartes géopolitiques en Europe…

Dans un peu moins de trois mois, le marché du gaz en Europe connaîtra une nouvelle étape majeure dans son émancipation de la production russe, entamée dans les premières semaines qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie : c’est la fin définitive du contrat en cours avec les fournisseurs gaziers de cet État.

L’énergie russe, c’était, au début des années 1960, la garantie d’un approvisionnement illimité, de bonne qualité, et à un tarif défiant toute concurrence. L’automobiliste européen s’est rapidement habitué aux stations-service des enseignes SECA ou LUKOIL. Lorsque les chars russes ont franchi la frontière ukrainienne le 24 février 2022, les pays-membres de l’Union européenne étaient dépendants à plus de 40 % de la Russie pour leur gaz ; aujourd’hui, ils ne le sont plus qu’à moins de 8 %, et la tendance à la baisse se poursuit inéluctablement.

Comment cela a-t-il pu s’effectuer aussi rapidement ?...

D’abord, de par la volonté politique des Européens de rompre ce lien, mais aussi par un ensemble de réalités pratiques liées aux gazoducs qui assuraient jusque-là l’acheminement de la production russe vers l’ouest. Le gazoduc Nord-Stream I, saboté, est à l’arrêt ; également saboté, Nord-Stream II n’était pas encore en service. Et les Russes ont réduit le débit de Yamal-Europe. Un gazoduc est-ouest subsiste, mais il transite par l’Ukraine, qui n’a aucunement l’intention de prolonger le contrat la liant à GAZPROM. Ce gazoduc ne représente d’ailleurs plus que moins de 5 % des importations européennes.

Mais comment les Européens ont-ils réussi à diversifier leurs sources d’approvisionnement gazier ?... 

Ils ont, pour l’essentiel, misé sur le gaz naturel liquéfié, le GNL, le plus souvent acheminé par voie maritime. Au début de 2022, l’Europe dénombrait 41 terminaux spécialisés ; depuis lors, 14 supplémentaires en ont été aménagé, et 9 sont en projet ou en construction. Les États-Unis et le Qatar sont les principaux fournisseurs de GNL destiné aux pays européens.

Est-ce que, parallèlement, il existe d’autres solutions ?...

En effet, des négociations sont en cours avec l’Azerbaïdjan, dont les exportations de gaz vers l’UE, en transitant notamment par le gazoduc turc, se sont multipliées par trois depuis le début des hostilités en Ukraine. Cependant, le volume de production azerbaïdjanais est insuffisant pour couvrir les besoins des Européens, qui, d’ailleurs, soupçonnent discrètement BAKOU de vouloir recycler du gaz d’origine russe.

On peut dire alors que les pays européens s’en tirent plutôt bien de ce qui aurait pu s’avérer une crise énergétique majeure ?...

Dans l’ensemble oui – mais avec un bémol. Trois pays de l’UE sont géographiquement enclavés et ne peuvent de ce fait disposer d’un terminal de GNL : ce sont la Hongrie, la Slovaquie, et l’Autriche. Ce dernier pays était, avant 2022, dépendant à 98 % du gaz russe, particulièrement bon marché.

En revanche, cet avantage financier, pour le cas de la Slovaquie et – surtout – de la Hongrie, se double d’un parti- pris prorusse de la part de leurs gouvernements respectifs.

Actuellement, l’Autriche et la Slovaquie négocient des contrats avec la Turquie, par où transite le gaz de l’Asie centrale ; et la Hongrie, elle, tente de récupérer du gaz russe par la Serbie – un tour de passe-passe en pleine présidence tournante du Conseil de l’UE confiée à la Hongrie, mais la conduite pendable de Viktor ORBÁN n’étonne plus vraiment grand-monde ici à BRUXELLES.

Enfin, la petite Moldavie, pays-candidat à l’Union européenne, est entièrement dépendante du gaz russe qui lui parvient par l’Ukraine, laquelle s’apprête à interrompre ce transit. La Moldavie possède bien un port fluvial, proche de l’embouchure du Danube, mais mal adapté à l’accostage des colossaux navires gaziers. Des pourparlers sont toutefois en cours avec la Roumanie voisine.

Bref, comme pour la vaccination anti-COVID, c’est dans l’adversité peu prévisible que les Européens trouvent les solutions, pourtant évidentes, que des années de pourparlers techniques et de Sommets politiques n’ont pas réussi à adopter.

Pour résumer, donc - vive l’urgence !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.