Ces jours-ci, un rapport sérieusement étayé fait grand bruit : on y découvre la réduction catastrophique, en Europe depuis vingt ans, du nombre et des espèces d’oiseaux, victimes en grande partie de l’agriculture intensive. Et c’est de cela que vous voulez nous entretenir cette semaine ?
Oui, à travers un exemple extrême – mais commençons par une devinette : si je vous dis « Quel est le premier pays exportateur de produits agricoles de la planète ? », vous me répondez…
…les États-Unis d’Amérique !
Très juste. Mais quel est le deuxième ?... C’est un pays, dont la superficie est près de 300 fois moindre que celle des États-Unis, et il s’agit…du Royaume des Pays-Bas, dont la valeur des exportations agricoles dépasse chaque année les 100 milliards d’Euros.
Mais comment les Néerlandais sont-ils parvenus à cet exploit ?
Tout simplement parce que, pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupation allemande, le commerce international étant bloqué par la fermeture des frontières, ils ont eu faim, et ils s’en souviennent. Dès la fin des hostilités, la Reine Wilhelmine et le gouvernement légitime à peine rentrés d’exil, les bases ont été lancées d’un vaste schéma de développement agricole du moindre lopin de terre.
Les Néerlandais, on le sait, sont les meilleurs ingénieurs hydrauliciens du monde, eux qui, depuis des siècles, maîtrisent le cours inférieur du Rhin et de l’Escaut, édifient des digues, gagnent des terres sur la mer, construisent des réseaux d’irrigation, régulés par les stations de pompage que sont les célèbres moulins à vent.
Et les travaux d’assèchement se sont accélérés après les inondations catastrophiques de 1953…
En effet : bilan terrible que celui de cette Tempête du Siècle, plus de 8.000 morts et 70.000 déplacés, et, en réaction, le lancement du très ambitieux Plan Delta, quarante ans de travaux et des extensions et renforcements permanents depuis lors. Les experts du Ministère de l’Hydraulique estiment d’ailleurs que, le dérèglement climatique aidant, il faut s’attendre à la montée des eaux de la Mer du Nord de 1,30 mètre en l’an 2100 et de 4 mètres en 2200.
Revenons à l’agriculture…
…l’agriculture qui aura été le grand bénéficiaire des terres, très fertiles, gagnées sur la mer et sur les fleuves.
Cependant, l’expansion à tout crin aboutit aujourd’hui à une situation intenable : le cheptel de bovins (essentiellement des vaches laitières) des Pays-Bas est quatre fois plus élevé à l’hectare que la moyenne européenne. La production d’azote, issue de leurs excréments, est colossale et perturbe l’écosystème des terres et des cours d’eau.
Les autorités, on l’imagine, sont au courant…
Oui, bien sûr. Mais l’on ne change pas du jour au lendemain une formule qui rapporte – ni la fierté nationale des habitants de cet Autre Pays de la Vache (par allusion à la Suisse).
Le gouvernement, que dirige depuis douze ans le libéral Mark RUTTE, finit en 2019 par saisir ladite vache sacrée par les cornes et promulguer une loi d’encadrement de la production d’azote, qui provient aussi de la circulation automobile et de la construction immobilière.
Ceci implique évidemment la disparition d’un grand nombre d’exploitations agricoles et la réduction d’un tiers du cheptel ; cela aboutit aussi à des situations étranges, comme celle de l’aéroport d’AMSTERDAM, contraint de racheter et de neutraliser des fermes alentour, non pour étendre ses pistes, mais pour compenser la production d’azote des avions.
Cette reprise en main n’est pas sans risques politiques : ainsi, aux élections locales il y a deux mois, le Parti des Fermiers, de création récente, a raflé 19 % des voix, c’est-à-dire celles d’un million et demi d’électeurs… alors que les agriculteurs ne sont qu’à peine 200.000 dans tout le pays.
Conclusion ?
Longtemps, il faut le reconnaître, l’agriculture néerlandaise aura privilégié la quantité et la rentabilité par rapport à la qualité. Il n’y a pas que les vaches, d’ailleurs : il y a aussi les kilomètres carrés de serres ultra-efficaces qui produisent en toute saison des fruits et légumes de bel aspect mais dépourvus du moindre goût.
Et on n’oubliera pas l’imposante flotte de gros camions frigorifiques qui parcourent incessamment l’Europe pour livrer des fleurs fraîchement coupées en Hollande.
Mais le contre-exemple néerlandais, en cours de rectification, constitue un avertissement sans frais pour les autres régions agricoles d’Europe, que ce soit en Autriche et en Italie, ou en Espagne et en France, notamment.
Mais, en attendant, les vaches de la ferme flottante de ROTTERDAM, installés sur une vaste péniche à plusieurs niveaux, ne paraissent pas pour autant menacées ; toutefois, en contraste, dans ce pays surprenant, la décision vient d’être prise de mettre les éoliennes en mer à l’arrêt, chaque fois qu’un vol d’oiseaux migrateurs est signalé.
Les oiseaux peuvent donc (un peu) redresser le bec en Europe.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.