Aujourd’hui, vous avez quelques doutes sur les capacités énergétiques de l’Europe, confrontée qu’elle est aux mois les plus froids de l’année…
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, dans les chancelleries comme au coin du zinc, il a en effet surtout été question de la raréfaction – et du prix élevé – du gaz, compte tenu de la réduction massive des exportations de la Russie, dont les Européens comprennent désormais avec quelle légèreté ils se sont rendus dépendants de celle-ci - et comment ils se sont mis dans la main de Vladimir POUTINE.
Mais, à l’examen, il s’avère que le risque de bien plus grandes difficultés est ailleurs : c’est l’approvisionnement en électricité.
Mais on croyait qu’on avait un réseau électrique paneuropéen particulièrement efficace ?
C’est vrai : l’Europe est bien interconnectée – à cet égard, elle constitue même, et de loin, la première région du monde avec une moyenne annuelle de 15 % d’échanges en tous sens entre pays de l’UE, ainsi qu’avec la Norvège et le Royaume-Uni.
Alors, où réside le problème ?
Le
problème, c’est que les deux principaux fournisseurs d’électricité
du continent sont tous deux défaillants en même temps : la
France, dont le parc de centrales électronucléaires est en grande
partie à l’arrêt pour entretien, et la Norvège, dont les
réservoirs qui alimentent les centrales hydrauliques sont à un
niveau très bas, en raison d’un été et d’un automne assez
secs.
On notera au passage que les Norvégiens n’y peuvent mais, alors que les Français, eux, ont fait preuve d’une stupéfiante impréparation.
Alors, comment procéder pour éviter le pire ?
Pour faire court, il faut mettre bout-à-bout des solutions de bric et de broc, et prier que l’hiver soit clément. Ainsi, l’Allemagne reporte-t-elle la fermeture définitive de trois de ses centrales nucléaires et réactive plusieurs centrales au charbon ; même scénario Outre-Manche, où l’on se tourne à nouveau vers le charbon, qu’on croyait d’une autre époque.
Évidemment, ces mesures ne sont pas de nature à conforter le respect des objectifs européens de décarbonisation.
Mais on mesure l’ampleur des risques : en temps normal, parmi les grands générateurs d’électricité, la Norvège est dépendante à 90 % de l’hydraulique ; la France, à 75 % du nucléaire ; le Royaume-Uni, à 40 % du gaz ; et l’Allemagne, à 30 % du charbon.
Pourquoi parlez-vous de risques ?
Parce que les dirigeants de ces pays peuvent à tout moment décider de réserver leur production à leur population, et cesser d’alimenter le réseau européen.
Ce serait un désastre pour les pays les plus importateurs, comme, par exemple, le Luxembourg (avec ses 80 % de consommation provenant de l’étranger) ou la Lituanie (avec ses 70 % importés).
Et déjà, en Allemagne comme en Slovaquie, des politiciens un rien populistes envisagent de fermer leurs frontières à l’exportation d’électricité.
C’est une attitude un peu à courte vue, non ?
Vous avez raison, mais lorsqu’on gouverne (ou qu’on aspire à gouverner) un pays, l’horizon, ce sont les prochaines élections, et non une perspective à moyen- et à long-terme au bénéfice de futures générations.
Pourtant, chacun trouve son compte à la mutualisation instantanée, en fonction des besoins réels, que permettent les dizaines de milliers de kilomètres d’épais câbles en cuivre qui composent le réseau électrique transeuropéen : un rapport de l’Union européenne, vieux d’à peine six mois, chiffre la valeur totale des économies que permet l’interconnexion à 34 milliards d’Euros par an.
Le danger, dans les quatre mois qui viennent, c’est le chacun pour soi – sur lequel compte évidemment M. POUTINE pour éroder le soutien des Européens à l’Ukraine.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.