Aujourd’hui vous allez, semble-t-il, nous parler de colère et d’inégalité, c’est bien cela ?
C’est une constante, à des degrés divers, et particulièrement dans les pays démocratiques où le citoyen ne craint pas de s’exprimer : la hausse du coût de la vie, l’emprise croissante de technologies nouvelles sur notre quotidien, l’incapacité de la classe politique à bien comprendre et gérer ces phénomènes – tout cela entretient un mal-être collectif, accentué par les réseaux sociaux, qui se traduit par une perte de confiance dans les institutions, et la colère vis-à-vis des puissants et des possédants.
Mais cela, chacun d’entre nous le perçoit clairement, et il serait inutile d’en rajouter.
Il est donc bien plus intéressant d’examiner telle ou telle recette qui nous permettrait – peut-être – de nous extraire de l’ornière et de repartir de plus belle.
A quoi pensez-vous en particulier ?
Rien de bien nouveau, en fait, puisque la notion de revenu universel inconditionnel – puisqu’il s’agit de lui – remonte au XVIe siècle. Appliqué à notre société post-industrielle comme aux pays en voie de développement, cela signifie que, dès votre naissance, vous percevez tous les mois la moitié de l’allocation d’un adulte que reçoit chacun de vos parents ou tuteurs. A partir de seize ans, vous recevrez l’intégralité de l’allocation, périodiquement indexée sur le coût réel de la vie, jusqu’à votre mort.
Le
montant de l’allocation doit vous permettre de vivre décemment,
sans contrainte financière (mais sans excès, non plus). Si on
devait introduire la mesure aujourd’hui en Europe, on pourrait en
estimer le montant à 3 000 euros.
Mais comment diable financez-vous cela ?
Simplement en supprimant toute autre forme d’allocation, de soutien officiel, de bourse, ou de subvention publique à l’individu. Mais attention : cela ne vous empêche pas de travailler, si vous le souhaitez : vous percevrez un salaire en supplément du revenu universel, salaire qui reviendra moins cher à l’employeur. Et vous serez amené à acquitter des impôts sur la partie salaire de vos revenus – mais pas sur la partie revenu universel. Ceci vaut aussi pour toutes autres formes de revenus, par exemple les dividendes d’investissement.
Quels autres avantages voyez-vous à ce système ?
D’abord, le jeune choisit la formation qu’il souhaite, sans pression de son entourage, et peut y consacrer le nombre d’années qu’il veut, par exemple en alternance avec une période de travail.
Ensuite, la disparition du souci financier libère les créateurs et artistes ; elle permet aussi de mettre à l’abri les personnes âgées de la dépendance de l’État ou de leurs proches. Et elle favorise la mobilité professionnelle et géographique, tout comme la formation continue tout au long de la vie.
Et tout le monde percevra ce revenu universel, même les milliardaires et les paresseux ?
Évidemment. Mais on peut être riche un jour, et tout perdre le lendemain. Et tout citoyen peut décliner l’attribution du revenu universel. De même, notre organisation socio-économique actuelle abrite bien des indolents, vivant d’allocations, souvent indûment perçues.
L’État n’assurerait plus aucun service ?
Si, bien sûr, comme auparavant ; le système de santé publique serait le seul à individualiser la prise en charge du malade ou du blessé.
Vous m’avez presque convaincue, mais vous n’évoquez que les avantages de ce système – il doit bien y avoir des inconvénients ?
En effet, et ils sont de taille : alors que chacun peut appeler de ses vœux cette société fraternelle et apaisée, ce n’est pas là que se trouve l’obstacle, mais bien dans le passage de la situation très complexe d’aujourd’hui à la situation idéale. C’est dans la mise en œuvre de la transition que se trouvent les difficultés.
Des expériences limitées ont eu lieu, notamment en Finlande, mais elles n’ont rien démontré, si ce n’est que le revenu universel inconditionnel ne serait viable qu’à grande échelle, faute de quoi, la distorsion économique par rapport aux pays qui ne le pratiqueraient pas serait par trop importante.
En clair : le revenu universel inconditionnel ne peut être instauré qu’au sein d’une vaste économie prospère et dans un ensemble démocratique – et là, on ne peut éviter de penser tout naturellement à l’Union européenne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.