Échos d'Europe

L'Europe et la démocratie

Photo de brotiN biswaS - Pexels L'Europe et la démocratie
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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Dans le numéro 139 de sa revue, Confrontations Europe a publié un article signé par Emmanuel Rivière, politologue, consultant en stratégies d’opinion et vice-président de la Maison de l’Europe de Paris. Intitulé Cultiver l’attachement à la démocratie dans les actes, cet article explore les tensions entre l’adhésion déclarée des Européens aux valeurs démocratiques et les doutes grandissants sur leur mise en œuvre concrète. À partir des données issues d’un Eurobaromètre réalisé en 2024, Rivière analyse les perceptions des citoyens sur des sujets cruciaux tels que l’état de droit, la transparence politique et la liberté des médias. Il propose également des pistes pour restaurer la confiance et renforcer le lien entre les citoyens et les institutions démocratiques.

Quel constat Emmanuel Rivière dresse-t-il sur l’attachement des Européens aux valeurs démocratiques ?

L’article révèle un attachement solide des Européens aux principes démocratiques, en dépit des défis contemporains. Selon l’Eurobaromètre de 2024, 89 % des citoyens considèrent essentiel que tous les États membres de l’UE respectent les valeurs fondamentales comme les droits humains, l’état de droit et la démocratie. Parmi eux, 47 % estiment cet engagement crucial, bien que ce chiffre soit en baisse par rapport à 2019 (53 %). Emmanuel Rivière note que cet affaiblissement de l’intensité du soutien ne doit pas masquer l’ampleur du consensus : aucun État membre ne descend en dessous de 75 % d’adhésion à ces principes. Cela montre que, malgré les pressions populistes ou les controverses institutionnelles, l’attachement à l’état de droit demeure un pilier partagé. Rivière souligne également que cet ancrage démocratique constitue une base solide pour les démocraties européennes, mais il nécessite un renforcement constant pour éviter son érosion face aux défis politiques et sociaux.

Comment les Européens perçoivent-ils la liberté et la diversité des médias dans l’Union ?

La diversité et l’accès à différentes sources d’information sont globalement bien perçus par les citoyens européens, avec 69 % des sondés estimant la situation satisfaisante. Cependant, cette moyenne cache des écarts marqués entre les régions de l’UE. Dans les pays nordiques, comme la Suède ou la Finlande, les taux de satisfaction dépassent 80 %, traduisant une confiance élevée envers les médias. À l’inverse, dans les pays du sud-est de l’Europe, comme la Grèce ou la Bulgarie, les chiffres stagnent autour de 60 %, atteignant même un modeste 53 % en Grèce. Les perceptions sont encore plus critiques lorsqu’il s’agit de l’indépendance des journalistes : 53 % des Européens pensent que les médias ne peuvent pas critiquer les gouvernements ou les grands intérêts économiques sans risquer des intimidations. Ces préoccupations sont particulièrement fortes dans des pays comme Malte ou l’Espagne. Emmanuel Rivière souligne que la liberté de la presse, pierre angulaire de la démocratie, reste un sujet de tension, nécessitant une attention renouvelée de la part des institutions européennes.

Quels doutes les citoyens européens expriment-ils sur la transparence et l’éthique des responsables publics ?

L’article met en lumière une défiance généralisée envers les élites politiques et administratives. Ainsi, 76 % des citoyens européens pensent que les responsables publics manquent de transparence sur leurs interactions avec les lobbyistes, leurs revenus ou leurs activités annexes. Ce chiffre, particulièrement élevé, illustre une crise de confiance qui affecte directement la crédibilité des institutions démocratiques. De même, 71 % des sondés estiment que les conflits d’intérêts sont fréquents, ce qui alimente un sentiment d’injustice et d’opacité dans l’élaboration des politiques publiques. Ces perceptions critiques s’accompagnent d’un scepticisme sur l’égalité devant la loi : seuls 49 % des Européens considèrent que les mêmes règles s’appliquent à tous, y compris aux autorités publiques. Emmanuel Rivière avertit que si ces préoccupations ne sont pas adressées rapidement, elles risquent de nourrir encore davantage les discours populistes et de fragiliser les fondements mêmes des démocraties européennes.

Quelles pistes Emmanuel Rivière propose-t-il pour renforcer l’attachement à la démocratie ?

Pour Emmanuel Rivière, il est crucial de transformer les principes démocratiques en actions concrètes, visibles et mesurables. D’abord, il recommande de renforcer la transparence des institutions, en imposant des obligations de déclaration claires pour les responsables publics et en veillant à une stricte application des normes éthiques. Cela passe par la mise en place de mécanismes de contrôle indépendants et par des sanctions efficaces en cas de manquements. Ensuite, Rivière plaide pour un renforcement de l’éducation civique, notamment auprès des jeunes générations, afin de consolider leur compréhension des valeurs démocratiques et de leur rôle dans la société. Il insiste également sur le rôle fondamental des médias dans la défense des libertés et dans la lutte contre les dérives populistes, tout en protégeant leur indépendance. Enfin, il souligne l’importance d’une coopération européenne accrue pour répondre aux menaces transnationales, qu’il s’agisse de désinformation ou de pressions sur les institutions démocratiques. Selon lui, c’est en alliant réformes structurelles et actions pédagogiques que l’UE pourra revitaliser la confiance de ses citoyens dans le projet démocratique.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.