L'édito européen de Quentin Dickinson

L'économie européenne et ses menaces extérieures

@Christian Lue sur Unsplash L'économie européenne et ses menaces extérieures
@Christian Lue sur Unsplash

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

2024 ne sera pas nécessairement l’année de tous les dangers, mais l’on peut dire que les tensions éventuelles ou constatées de l’UE avec WASHINGTON et avec PÉKIN préoccupent considérablement les milieux économiques européens, QD…

En dépit des soubresauts qu’a connu le commerce mondial ces dernières années, l’Union européenne conserve comme principaux partenaires les États-Unis et la Chine, à peu près à égalité.

Or, la question qu’on se pose ici à BRUXELLES, c’est : contre lequel des deux convient-il à l’avenir de se prémunir le plus – en clair, lequel nourrit des intentions politiques ou militaires susceptibles de nuire le plus à l’économie européenne ?

Et quelles sont les risques, dans un cas comme dans l’autre ?...

Des deux côtés, le risque, c’est l’incertitude, c’est-à-dire ce que les acteurs économiques détestent le plus.

Côté américain, le retour éventuel de Donald TRUMP à la Maison-blanche peut signifier un désintérêt assumé de WASHINGTON pour le sort des Européens, laissés seuls à contrer l’agression multiforme de la Russie. Cependant, les décisions économiques, aux États-Unis, pays à la tradition libérale, relèvent peu des autorités fédérales, en dehors des programmes de soutien financier sectoriels, d’un certain protectionnisme réglementaire, et de la politique monétaire.

La probabilité reste donc que les échanges commerciaux transatlantiques ne soient pas fondamentalement altérés.

Et du côté chinois, alors ?...

Là réside un amoncellement d’incertitudes à grande échelle. Car la Chine puissante et dominatrice rêvée par le Président XI Jinping se révèle à l’examen être un colosse aux pieds d’argile.

Comment cela ?...

D’abord, parce que l’économie chinoise a connu un développement spectaculaire depuis son intégration à l’Organisation mondiale du Commerce il y a vingt-deux ans. Ceci aura permis une modernisation du pays, menée tambour battant, et surtout l’émergence d’une classe moyenne urbaine aisée.

Or, le cycle du toujours-plus ralentit naturellement depuis environ cinq ans, rien d’étonnant à cela, mais s’y ajoutent des crises multiples que les dirigeants du Parti communiste peinent à endiguer.

D’abord, il y a la gestion de la pandémie de COVID-19, identifiée initialement en Chine, et contre laquelle la Chine aura été le dernier pays au monde à maintenir une très stricte politique de confinement, aux effets désastreux pour l’industrie. Habitués depuis deux décennies aux taux de croissance à deux chiffres, la Chine a assisté, impuissante, à des taux annuels inférieurs à 3 %, et voilà que les prévisions pour cette année plafonnent à 4,6 %, témoin d’une douloureuse contraction de l’ensemble de l’économie.

Mais la pandémie n’explique pas tout, QD…

Non, en effet. Il y a également une crise du logement, due à l’origine à un exode rural massif, encouragé par une vénérable idéologie ouvriériste, selon laquelle la prospérité se crée dans les villes. Cette crise a depuis échappé à tout contrôle, et la bulle parfaitement irrationnelle qu’elle provoquait depuis cinq ans a fini par imploser, entraînant dans sa chute les banques, les autorités locales, et – surtout – les ménages.

Or, la stagnation, voire la baisse des prix à la consommation constatée entraîne normalement une relance de l’économie – mais pas cette fois-ci en Chine, tant est profonde la crise de confiance à tous les niveaux.

Et les conséquences sont aussi politiques…

La réaction de l’appareil d’État se résume à une mainmise autoritaire croissante sur les leviers de l’économie, ce qui induit de nouvelles pesanteurs et de nouvelles erreurs stratégiques. Fini, le pari – pourtant gagnant – de DENG Xiaoping dans les années 1990, selon lequel le Parti-État s’occupait de la politique et les dirigeants d’entreprise s’occupaient de l’économie, chacun chez soi et pas de mélange de genres.

Résultat : sur fond de risque de guerre pour Taïwan et de relations troubles avec MOSCOU, tout le monde se méfie, à commencer par les milieux financiers mondiaux ; ainsi, les investissements en Chine de source extérieure à ce pays se sont-ils effondrés depuis un an.

Mais le vrai problème n’est pas là.

A quoi faites-vous allusion ?...

Simplement, à la démographie. Il y a désormais plus de décès que de naissances en Chine, et les prévisions les moins catastrophistes indiquent que, dans vingt-cinq ans à peine, le pays comptera cent millions d’habitants de moins qu’aujourd’hui. Facteur aggravant : c’est dans les campagnes que l’on fait le plus d’enfants, dont près des trois-quarts arrivent sur le marché du travail sans avoir fini le cycle scolaire secondaire. On ne pourra pas compter sur eux pour occuper les fonctions spécialisées indispensables au développement économique.

Alors, oui, c’est bien de la Chine d’aujourd’hui et de demain que l’Europe doit se garder le plus, personne ne pouvant deviner comment réagira un pouvoir autoritaire, exercé dans l’entre-soi, à ce torrent de mauvaises nouvelles.

2024, l’Année du Dragon de bois dans l’astrologie chinoise, est celle de l’ordre et du changement. On ne sait pas en quoi, mais nous voilà prévenus.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.