Aujourd’hui, vous allez évoquer un pays-membre de l’Union européenne, dont le gouvernement a choisi avec constance de se mettre en situation spéciale par rapport à ses partenaires…
Oui, situation spéciale est un doux euphémisme pour évoquer la trajectoire de la Hongrie (chacun aura compris qu’il s’agit d’elle) au cours des douze années écoulées, qui correspondent au cinq mandats successifs de Premier ministre de Viktor ORBÁN. Pour être complet, il faut rappeler qu’il avait déjà occupé ces fonctions antérieurement, pendant quatre ans de 1998 à 2002 – c’est dire s’il aura eu le temps de façonner le pays et ses compatriotes à sa façon personnelle.
En quoi consiste justement ce que vous appelez sa façon personnelle de gouverner ?
C’est d’abord une concentration des pouvoirs entre les mains du chef de gouvernement, concentration qui réduit le Président de la République au statut de potiche décorative et le Parlement à une simple chambre d’enregistrement. Bien sûr, cela ne s’est pas fait en un jour, mais par retouches successives à la Constitution, généralement initiées dans le sillage d’une victoire électorale.
C’est ensuite l’émergence d’une caste d’oligarques, amis proches et membres de la famille de M. ORBÁN, aujourd’hui richissimes et qui se partagent contrats publics, prébendes, et sinécures.
Cela ne vous rappelle rien ? Oui, c’est, en miniature, la reproduction du système, en Russie, de Vladimir POUTINE – dont M. ORBÁN se flatte, encore aujourd’hui, d’être l’ami intime. Drôle d’évolution pour celui qui, alors étudiant, menait courageusement la lutte contre le contrôle effectif de son pays par l’Union soviétique.
Mais tout cela paraît totalement contraire aux textes fondateurs de l’Union européenne, pour qui la vie publique fondée sur la démocratie, l’État de droit, et les droits humains constitue la condition pour être membre de l’UE ?
Bien sûr – sauf que la Hongrie est entrée dans l’UE en 2004, et que personne ne pouvait à l’époque deviner le tour que les événements allaient prendre à BUDAPEST. Et, une fois un pays admis dans le club, et qu’il se met à en piétiner les règlements, il est particulièrement malaisé de l’amener à résipiscence, encore plus si on veut l’en exclure, ce qui immanquablement affaiblirait la crédibilité de l’Union européenne dans son ensemble.
Alors, on ne fait rien ?...
Ce serait un peu injuste de le dire. A de très nombreuses reprises, le Parlement européen s’en est ému en des termes sans équivoque, à l’unanimité des groupes politiques, à l’exception de l’extrême-droite et des nationalistes.
Le Parti populaire européen, c’est-à-dire la droite classique dont le Fidesz, le parti de M. ORBÁN faisait encore partie jusqu’à l’année dernière, n’a pas caché son soulagement de voir partir ces eurodéputés si infréquentables.
Mais c’est à la Commission européenne, en tant que gardienne des traités, qu’il échet de gérer le cactus hongrois.
Et de quelles armes dispose-t-elle ?
De l’argent, principalement, et du temps, qui joue plutôt pour elle. Au dernier décompte, les aides financières destinées à la Hongrie mais toujours gelées à BRUXELLES, atteignent 14,9 milliards d’Euros au titre de la relance économique post-pandémie, auxquels s’ajoutent 7,5 milliards de programmes de développement régional. Pour un pays de moins de dix millions d’habitants, ce n’est pas négligeable.
Trop longtemps, M. ORBÁN et ses acolytes ont impunément fait main basse sur l’argent des contribuables européens pour en faire à peu près tout ce qu’ils voulaient.
Mais le nombre croissant de projets vérolés par la corruption, ou dont la réalisation s’est avérée à des années-lumière des objectifs autorisés, a franchi les limites de l’acceptable, même pour la Commission européenne, réputée bonne fille pas trop regardante.
Et Viktor ORBÁN fait-il mine de rétropédaler ?
Il n’a guère le choix. Et sa campagne d’affichage contre les sanctions prises par l’UE contre la Russie (slogan : Les sanctions de Bruxelles ruinent notre économie) a achevé de miner sa main dans les négociations, intensives mais discrètes, qui se déroulent en ce moment-même.
Quelle que soit l’issue de ces pourparlers, Viktor ORBÁN devra donner de solides garanties publiques de retour à l’orthodoxie démocratique, et il sait qu’il sera sous vigilante surveillance pour l’avenir prévisible.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.